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Collaboration de Cocteau à un numéro sur la jeunesse du petit périodique universitaire belge Le Vaillant en 1962. « La jeunesse sait ce qu’elle ne veut pas avant de savoir ce qu’elle veut. Or ce qu’elle ne veut pas, c’est ce que nous voulons. Elle nous fréquente pour jouir du contraste » (Jean Cocteau, La Difficulté d’être, 1947).

Citations du chapitre « De la jeunesse » dans La Difficulté d’être (1947) :

« J’aime fréquenter la jeunesse. Elle m’apprend beaucoup plus que l’âge. Son insolence et sa sévérité nous administrent des douches froides. C’est notre hygiène. En outre, l’obligation où nous sommes de lui servir d’exemple nous force à marcher droit. Je comprends que nombre de nos contemporains évitent son contact, que je recherche. »

« Il est ridicule d’envisager la jeunesse sous forme de mythe et en bloc. Par contre, il est ridicule de la craindre, de mettre une table entre elle et nous, de lui claquer la porte au nez, de prendre la fuite à son approche.
Bien sûr qu’elle est mythomane. Bien sûr qu’elle est sans-gêne. Bien sûr qu’elle nous mange du temps. Et puis après ? »

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Le souci d’ouvrir sa porte à la jeunesse, de l’aider à se trouver, de s’adresser à elle, est constant d’un bout à l’autre de la vie de Cocteau, malgré tous les inconvénients qu’il y a à vivre à son contact. On en suit les manifestations aussi bien dans ses prises de position publiques que dans son œuvre, ce qui lui a valu le qualificatif de « Prince de la jeunesse » (André Fraigneau dans Panorama en 1943 ; Roger Peyrefitte dans Arts, lettres, spectacles en 1954 ou encore Jacques Porel dans la Gazette des lettres en 1951).
La mort de James Dean, celle de Gérard Philippe, le frappent au cœur. Significativement, le jour même de sa mort, c’est encore vers un jeune artiste que vont ses pensées, Johnny Hallyday (Le Passé défini, 11 octobre 1963) :
« Bernard Buffet a dessiné la couverture du Gala Hallyday : une baguette, une boucle de ceinture et deux mains de singe.
J’ai préparé la phrase que les “copains” me demandent pour le programme : “Salut Johnny, nous aimons en toi le coq d’une nouvelle journée.” Je trouverai peut-être autre chose… »

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Cependant, s’il y a pour Cocteau un âge idéal, ce n’est pas la jeunesse mais l’enfance, âge aux frontières mobiles comme on le voit dans Les Enfants terribles (1929), et qui représente surtout une aptitude profonde à être ou demeurer un être d’instinct. Convaincu comme Baudelaire que « le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté », Cocteau adresse son œuvre à l’enfant qui est en nous, aux « jeunes » ou « grandes personnes » qui acceptent de rester coûte que coûte des enfants.
La jeunesse, c’est autre chose : c’est l’âge (merveilleux et redoutable) de « l’école », de l’insolence gratuite et de la désobéissance, où l’on se forge une personnalité et une culture au contact turbulent des « maîtres » les plus variés. Cocteau a une vision à la fois optimiste et dramatique de la jeunesse : un des grands drames de sa vie de poète est d’avoir fourvoyé la sienne à l’école du dilettantisme familial et d’auteurs académiques, avant de faire sa mue au contact de Stravinski, Picasso, Satie, « ces hautes amitiés qui furent ma seule école » (Démarche d’un poète, 1953), ou de Radiguet, « cet élève qui devint mon maître » (Les Nouvelles littéraires, 5 juin 1952).

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Maître-élève : la relation de Cocteau aux jeunes et notamment aux jeunes écrivains et artistes de tous ordres qui s’adressent à lui, connus et surtout inconnus, obéit au fond à cette démarche « pédagogique ». Préfaces, saluts, articles, dessins, affiches, etc., graines semées à tous vents pour accompagner l’essor d’entreprises diverses, s’inscrivent toujours sur cet horizon.
Cocteau sait qu’il doit aussi rendre des comptes au « seigneur inconnu qui est en lui », et peut se montrer très dur contre l’ignorance, la prétention et le conformisme d’une certaine jeunesse.
Il offre enfin à la jeunesse, comme à tous ses publics, le visage d’un « maître » non seulement amical, bienveillant, charmeur, mais tourmenté, convaincu d’être « né giflé » comme Rousseau, d’être comme lui un poète persécuté par des « encyclopédistes » de toutes sortes, dont il s’agit de détourner ceux qui se mettent à son école.