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Adresse de Jean Cocteau à la jeunesse après son élection comme « prince des poètes » le 27 juin 1960.

« On connaît l’absurde conformisme anticonformiste de la jeunesse », lit-on dans le Discours de réception à l’Académie française (1955). S’il accepte de laisser sa porte ouverte à la jeunesse, Cocteau ne l’idéalise pas. Le Passé défini, mais aussi ses entretiens et discours publics, soulignent volontiers son conformisme, ses idées toutes faites sur l’art et la poésie, son inculture, son ambition de succès immédiat (que Radiguet dénonçait déjà dans « Le Préjugé du succès » en 1920), sa hâte de parvenir, qui lui font chercher dans le parrainage de noms célèbres un moyen de se faire plus vite un nom. Ce à quoi le poète, tout en saluant « un fleuve de feu qui prend sa source dans les cafés et dans les mansardes » (Discours sur la poésie, 1958), oppose la pensée de Nietzsche : « Les fruits de la pensée mûrissent à l’ombre ».

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« Arrivée à l’improviste du directeur d’un journal de jeunes.
Je l’engueule et finalement je le garde. Jeunesse désemparée. Je me rends compte que les choses les plus simples que je lui dis le bouleversent. Il me quitte à cinq heures. Son car est à sept. Je lui demande ce qu’il va faire de cinq à sept. “J’irai dans un café. Il faut que j’écrive les choses que vous m’avez dites.” De cette conversation toute simple il sort comme si je l’avais soûlé et roué de coups. Le seul problème qu’ils se posent : “Être connu.” Les problèmes qui en décident ne se posent même pas. Et ce jeune homme est un brave type, sans l’ombre de morgue. Il ne demande qu’à être encouragé, dirigé, enseigné. Mais qui ne se perdrait dans le bric-à-brac de cette époque ? À vrai dire ils n’ont ni la patience de suivre la filière, ni la force de la piétiner. Comment leur faire comprendre qu’il ne peut y avoir un club des poètes ? Que le poète est obligatoirement une solitude, un drame, une révolte contre toute organisation, un lépreux, un paria. »
(Jean Cocteau, Le Passé défini, 18 janvier 1956)

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« Comment expliquer que tant de jeunes confondent l’organisme que doit être un poème avec une simple allure poétique et ignorent l’ABC de la poésie, à savoir qu’en vertu de phénomènes auxquels j’ai fait allusion en prenant la parole, l’invisibilité d’une discipline ne l’empêche pas d’être présente ? La poésie est à l’inverse de ce que les gens estiment être poétiques. Elle est une arme secrète. Une arme dangereuse, précise, au tir rapide, et qui parfois ne touche son but qu’à des distances incalculables.
[…]
Notre époque est la fautive, époque d’égocentrisme et de hâte où chacun prononce la phrase de Louis XIV : “J’ai failli attendre.”
Toute belle œuvre est écrite à la main et résulte d’une longue attente. Tout beau parcours d’une vie se fait à pied sur le rythme de Goethe allant de Weimar à Rome. Mais la hâte tourne les têtes chaudes. La jeunesse ouvrière abandonne l’artisanat pour l’usine et, chez les artistes, la jeunesse se fatigue de la route nationale. Elle se décourage, dépassée par les grosses voitures qui l’aspergent de lumière et de boue. Elle cède et demande l’aumône. Elle se livre à la pantomime de l’auto-stop moral qui n’est autre qu’une manière désinvolte de tendre la main et de mendier un peu de vitesse et de luxe. »
(Jean Cocteau, « Le Discours d’Oxford » [1956], Poésie critique II, Paris, 1960)