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Visite de journalistes au Palais-Royal, à l’occasion de la sortie de L’Éternel Retour (Reflets européens, 5 mars 1944).

L’ère médiatique inaugurée en France dans les années 1830 introduit entre l’écrivain et son œuvre un troisième terme : son personnage public, personnage souvent flou, brouillé par la superposition de multiples images mal ajustées les unes aux autres.
Sa formation est d’abord une projection de l’œuvre mais se joue aussi sur le terrain des médias et de toutes les médiations publiques qui interviennent entre une œuvre et ses lecteurs, des éditeurs aux témoins de sa vie, en passant par les journalistes, photographes et caricaturistes de presse écrite, parlée, télévisée.
Le grand défi pour l’écrivain est que son personnage public ressemble à son œuvre, comme déjà l’affirme Chateaubriand dans la préface des Mémoires d’outre-tombe (« Des auteurs français de ma date, je suis quasi le seul dont la vie ressemble à ses ouvrages »). Mot qui va droit au cœur de Cocteau quand Robert Poulet vient le voir en 1955 pour le chapitre d’un livre : « Vous ne ressemblez qu’à votre œuvre ». Commentaire du poète : « Bien sûr, on s’est arrangé pour que je ne lui ressemble pas. C’est la raison pour laquelle, à l’étranger, on me connaît mieux qu’en France, car on me juge d’après mon œuvre, tandis qu’en France on juge mon œuvre d’après une image ridicule qu’on a faite de moi » (Le Passé défini V, 12 mai 1956).

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À l’exact opposé des écrivains « rares » qui, comme Beckett ou Gracq, choisissent de refuser photos et interviews, Cocteau a très tôt décidé de « coïncider » avec l’époque (Le Coq et l’Arlequin), de s’installer à son extrême pointe, de jouer au jeu ambigu du « qui perd gagne » avec la « conspiration du bruit » qui, à l’époque de l’industrialisation du livre, de la démocratie culturelle et des mass-médias, parle de tout et de tous sans discernement, écrasant les vrais talents sous le déluge de bruit qui entoure aussi les médiocres.
Stimulé par l’exemple de Radiguet, qui demande à son éditeur Grasset, en 1923, une publicité monstre pour lancer Le Diable au corps et multiplier ses chances de rejoindre ses vrais lecteurs en écartant ceux que cette publicité suffit à indisposer, Cocteau intègre complètement la posture de l’auteur médiatique, qui sature les médias de sa présence dans un mélange d’initiatives calculées et d’hyper-réceptivité aux sollicitations, avec l’espoir d’influer sur son image publique. Une image publique d’autant plus complexe dans son cas, estime-t-il, qu’elle ne cesse de bouger au fil de ses mues artistiques, obéissant à cet « esprit de contradiction » dans lequel il voit le moteur de la création. Or « la France supporte mal un rôle qui n’est pas tout d’une pièce. L’avare doit toujours être avare, le jaloux toujours jaloux. C’est le succès de Molière » (Le Livre blanc, 1930).
De là une quantité astronomique d’interviews et entretiens de tous ordres, parmi lesquels on peut signaler, pour leurs dimensions, les « livres-entretiens » et quelques grands entretiens radiophoniques et télévisés des quinze dernières années. Livres-entretiens : Entretiens sur le cinématographe, avec André Fraigneau, en 1951 ; Gide vivant en 1952 ; Entretiens sur le musée de Dresde, avec Louis Aragon, en 1957. Séries d’entretiens radiophoniques : avec André Fraigneau en 1951, sur la Chaîne nationale (publiés en 1965), avec Pierre Brive en 1962, sur R.M.C. (partiellement publiés en 2003 aux Éditions Écriture, Paris). Grands entretiens télévisés : Gros Plan avec Pierre Cardinal, en 1959 ; Portrait-Souvenir avec Roger Stéphane en 1963, diffusé et édité en 1964 (Tallandier, Paris). Ajoutons les entretiens au magnétophone de 1962 avec William Fifield (publiés en 1973 chez Stock) et Gabriel d’Aubarède (publiés en 2003 aux Éditions Écriture).