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Michel Déon, « Le micro a intimidé Jean Cocteau pour la première fois de sa vie », Radio 51, n° 335, 25-31 mars 1951. Les entretiens avec André Fraigneau sont publiés en 1965 (coll. « 10/18 », U.G.E., Paris), et repris en 1988 aux Éditions du Rocher.

Si, dans les années 1937-1939, Cocteau a tenu des chroniques pour Radio Cité, Paris P.T.T. et Radio Luxembourg, si dans les années quarante les petites interviews radiophoniques se multiplient autour de la sortie de ses films, de la création ou de la reprise de ses pièces, les années cinquante le voient se prêter à des dialogues au micro qui dépassent les quinze minutes et les limites de la rapide interview de circonstance. L’entreprise la plus longue est celle des « Entretiens avec André Fraigneau » en 1951, série de quatorze émissions de quinze à vingt minutes diffusées sur la Chaîne nationale du 26 mars au 14 mai 1951, soit deux fois par semaine durant un mois et demi. Conversation et lecture de textes (seize en tout) se combinent dans une course « après la montre » (André Fraigneau) destinée à couvrir l’ensemble d’un parcours de la vie et de l’œuvre du poète trop riche pour tenir dans le volume horaire accordé.

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Ce genre nouveau de l’entretien-feuilleton, découpé en épisodes diffusés en différé sur plusieurs semaines ou mois, devient un phénomène culturel après que Jean Amrouche en invente la formule avec Gide en 1949. Il y a comme une éclosion foudroyante, une explosion du genre au début des années cinquante (Colette, Cendrars, Léautaud, Cocteau, Ghelderode, Duhamel, Carco, Paulhan, Paul Fort, Breton, Mauriac, Giono, Montherlant y passent) avant un fléchissement d’intérêt fin 1953, et l’entrée du genre dans une phase « routinière » de son existence à partir de 1955. Avec deux grands succès d’audience et de presse : les entretiens Léautaud–Mallet en 1950-1951 (trente-huit émissions) et Claudel–Amrouche (quarante-et-une émissions).

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L’exercice s’avère difficile pour Cocteau, si à l’aise dans la libre conversation mais que le micro angoisse.
Pour tenter d’y remédier, il se choisit comme interlocuteur un écrivain qui, faisant partie de ses complets admirateurs depuis très longtemps, accepte de jouer le rôle de faire-valoir — un faire-valoir trop complaisant, pour la presse.
Par ailleurs, même si André Fraigneau, dans sa préface à l’édition des entretiens en 1965, écrit qu’ils « furent improvisés et enregistrés à la R.T.F. en deux séances de quatre heures », Cocteau ne se laisse pas aller à cette électricité de l’improvisation qui fait selon lui l’atout des causeries à la radio. Pierre Drouin, chroniqueur du Monde, le note à l’écoute de la première émission : « On le sent tendu, lucide, hyperconscient. […] Dans son match avec André Fraigneau M. Cocteau ne veut que des coups brillants ; il a le souci qu’on le reconnaisse. Devant la “petite cage à mouches”, je pense qu’il a peur d’abord de décevoir, de ne pas en donner à l’auditeur pour son argent. » (Le Monde, 30 mars 1951). Même constat du côté du Figaro, après la troisième émission : « Le grave défaut de ces entretiens est là : forme et fond, rien n’est jamais improvisé. La voix est surveillée et les textes de la conversation ont déjà paru en volume » (François de Roux, Le Figaro, 28-29 avril 1951).
En revanche, le poète se montre excellent dans les lectures de textes qui ponctuent ces entretiens.

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Découpage des quatorze émissions :

Lundi 26 mars, 20h50 : Les débuts, Le Potomak.

Jeudi 29 mars : 1914-1916 : rencontres de Roland Garros, Picasso, Satie. Lectures de : L’Adieu aux fusiliers marins, École de guerre et du début de Voyage en Italie.

Lundi 2 avril : Blaise Cendrars, Erik Satie, Maurice Barrès. Lecture : Portrait de Barrès.

Jeudi 5 avril : Raymond Radiguet, Dada, les premiers romans. Lecture : Je n’aime pas dormir… et Franchement je croyais… (extraits de Plain-Chant).

Lundi 9 avril : ses œuvres théâtrales et l’Antiquité grecque.

Jeudi 12 avril : Mort de Raymond Radiguet, Max Jacob, Colette.

Lundi 16 avril : la désintoxication, Christian Bérard, Les Enfants terribles. Lecture : Jeune fille endormie (Opéra).

Jeudi 19 avril : Jean Desbordes, La Voix humaine, Le Sang d’un poète, La Machine infernale.

Lundi 23 avril : Opium, Les Chevaliers de la Table ronde, les voyages.

Jeudi 26 avril : Portraits-Souvenir : Léon Daudet, Marcel Proust. Lecture : rencontre avec l’impératrice Eugénie (extrait de Portraits-Souvenir).

Lundi 30 avril : le tour du monde en quatre-vingts jours, Charlie Chaplin… Voyage en Turquie, Maalesh. Lecture : extrait de Mon premier voyage.

Jeudi 3 mai : Les Parents terribles. Lecture : extrait de La Fin du Potomak.

Jeudi 10 mai : La Machine à écrire, Renaud et Armide, les films (La Belle et la Bête…). Lecture : L’Incendie (Allégories)

Lundi 14 mai : La Difficulté d’être, la poésie, la peinture. Lectures : De mon style (chapitre de La Difficulté d’être), Mademoiselle de la Vallière et Madame Récamier (Reines de la France).