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Pour l’Exposition internationale « Terre et Cosmos » du 1er salon interplanétaire en juin 1958 (Planétarium de Paris), Cocteau réalise deux immenses panneaux : Hommage aux savants et La Conquête de l’inconnu. Une reproduction noir et blanc de La Conquête de l’Inconnu ouvre la série de dix photographies éditée pour l’occasion.

Dans l’œuvre critique de Cocteau, Journal d’un inconnu, qui a d’abord eu pour titre Esprit es-tu là ?, développe en 1952 toute une série de préoccupations sur le mystère de l’homme dans l’univers, les mondes invisibles, les énigmes de l’infini, l’espace-temps, la vitesse, la perspective, la matière, les phénomènes inexplicables, la communication avec l’au-delà. Affaires de scientifiques, de philosophes, d’occultistes, mais aussi de poètes, invités à promener sur ces mondes inconnus la « canne d’aveugle » de leurs fulgurantes intuitions : « Un poète est libre de ne pas suivre les rails de la science » (Journal d’un inconnu). Rails évoqués déjà dans un article de 1938 saluant l’ingénieur Esnault-Pelterie, l’inventeur de la commande d’avion dite « manche à balai » et auteur en 1928 d’un petit livre sur L’Exploration par fusées de la très haute atmosphère et la possibilité des voyages interplanétaires :
« Rien ne dérange et ne retarde la colonisation du mystère et la victoire sur l’inconnu comme ces grands vainqueurs qui nous éblouissent et qui nous aveuglent. Le jupon de Mme Montgolfier [point de départ de l’invention des montgolfières] a suffi pour reculer d’un siècle le problème du vol. Dans le domaine des lettres un Hugo et un Rimbaud sont de terribles papiers à mouches, des chewing-gums monstres dont la jeunesse ne se dépêtre plus. »
(Plein Ciel, n° 60, mai-juin 1938.)

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Déjà aussi, dans Le Secret professionnel (1922), Cocteau invoquait l’aptitude du poète, « que rien ne limite », à rapporter « quelquefois une perle de profondeurs où le savant prouve qu’il est impossible de descendre ». « La science lente, qui marche en comptant ses pas, se trompe. Elle semble ne pas gêner beaucoup l’inconnu. Il la laisse assez tranquille. » Science, philosophie, occultisme, écrit-il, « pataugent au bord » de la mer de l’inconnu. L’album de dessins Le Mystère de Jean l’Oiseleur (mystère du poète qui prend au piège les messages de l’invisible), L’Ange Heurtebise, Opéra, Orphée (théâtre) : autant d’entreprises visant, dans les années vingt, à « toucher plus juste et plus loin que toute science ».

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Dans les années cinquante, l’actualité des « soucoupes volantes », la conquête de l’espace, la recrudescence de publications sur des phénomènes paranormaux, réactivent et amplifient l’intérêt de Cocteau pour l’infiniment grand et l’existence d’autres dimensions de vie que la nôtre, mais aussi pour l’ésotérisme et toutes les marges de la « science officielle », ce qu’il appelle, après Gabriel Marcel, « les parties honteuses du savoir », comme la magie, l’astrologie, la chiromancie, la parapsychologie, mais aussi, dans un autre domaine, les médecines parallèles. Le poète se persuade qu’il y a là une posture anticonformiste à laquelle le temps donnera raison, comme le suggère l’Hommage aux savants réalisé pour l’Exposition internationale Terre et Cosmos en 1958, qui salue des scientifiques d’abord violemment contestés avant de devenir indiscutés (Newton, Copernic, Einstein).
De la peinture à l’huile intitulée Soucoupe volante (1952) à la fresque L’Âge du Verseau, réalisée avec Raymond Moretti aux studios de la Victorine en 1962-1963, en passant par les quatre pastels de la série Astrologue en 1954, ou du recueil Le Chiffre Sept (1952) aux Paraprosodies (1958) en passant par Clair-Obscur (1954), sans compter articles, discours et interviews, une grande partie de l’œuvre de Cocteau dans ces années se fait l’écho de ces préoccupations paranormales et de sa volonté simultanée d’affirmer et de travailler la poésie comme une « science exacte ».