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Assistance française, dessin de Jean Cocteau en 1945.

Loin de tout engagement militant, Cocteau se définit, durant la plus grande partie de son existence, comme un individualiste, dont le seul parti est de s’engager en soi-même « avec la même intensité et la même injustice que dans la politique des partis » (à Georges Ribemont-Dessaignes, Chaîne nationale, 31 mars 1950), de livrer la guerre du singulier (qui distingue) contre le pluriel (qui uniformise) : « L’individualisme consiste, en effet, à s’écarter d’une norme (fort mouvante elle-même), à couper la vague, à imposer aux habitudes un perpétuel croc-en-jambe, à être vrai, coûte que coûte, d’un vrai qui n’est pas celui des autres, et les incline à le prendre pour paradoxe et pour mensonge », écrit-il en 1953 dans un passage de Démarche d’un poète repris en préface de Poésie critique II (1960).

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Dans le même essai, Cocteau réagit à « ce terme à la mode “d’engagement” » : « L’engagement extérieur sans la foi est un sacrilège. Je ne m’y résoudrai jamais. » Il refuse toute confusion entre la politique et les Lettres, toute assimilation du poète à cette figure de l’intellectuel engagé qui caractérise le XXe siècle. Lisant peu la presse, n’ayant pas la tête politique, réfractaire aux manifestes et pétitions, il se tient globalement en retrait des enjeux historiques de son siècle et du mouvement de l’actualité, sauf par intermittences et dans des moments particulièrement dramatiques, au début de la Grande Guerre, à la veille de la Seconde, ou bien au moment de l’invasion de la Hongrie par les troupes russes en 1956.

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Cependant, l’engagement de Cocteau « en [s]a personne » (Démarche d’un poète), s’il l’éloigne de l’actualité, aiguise aussi son sens de l’humain, selon un paradoxe de Goethe qu’il cite souvent : « C’est en se serrant contre soi de toutes ses forces que l’on touche à l’universel. » Tout en refusant le profil d’un écrivain engagé dans les combats de son temps, le poète se montre ainsi plus spécialement sensible à des causes générales touchant les besoins et droits humains fondamentaux, la dignité et la fraternité humaines : la paix, l’amitié entre les peuples, le combat contre le racisme et l’antisémitisme, le respect de la liberté d’opinion, l’aide aux personnes sans ressources (sans-abri, réfugiés, victimes de guerre…). Un bref message adressé au journal antiraciste Le Droit de vivre en mai 1940 résume son attitude :
« Un poète a, par principe, l’esprit trop anarchiste pour prendre une position, fût-elle révolutionnaire. Mais en face des crimes qui s’accomplissent chaque jour contre la liberté de l’âme et du corps, il serait lâche de rester immobile. »