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« Gardes françaises 1940 », poème de Cocteau dans Voilà du 5 janvier 1940. Article daté 30 juillet 1941 et dessins appelant à une renaissance du théâtre dans Patrie en 1941. Cocteau et Arno Breker le 18 mai 1942, au milieu des œuvres du sculpteur exposées à Paris. « 25 Août 1944 », poème publié dans Les Nouvelles littéraires  du 5 avril 1945.

Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre entrent en guerre avec l’Allemagne qui vient d’envahir la Pologne. Marais mobilisé part dans la Somme, à cent kilomètres du front, vite désœuvré dans cette « drôle de guerre » qui va s’étirer jusqu’en mai 1940. « Gardes françaises 1940 », poème patriotique que Cocteau fait paraître dans Voilà du 5 janvier 1940, suit la visite au front qu’il rend à son ami en décembre, chargé de cadeaux (thermos et cigarettes) pour tout le régiment.

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Le 4 mai suivant, il confie au journal Le Droit de vivre de Bernard Lecache, journaliste juif, que si « un poète a, par principe, l’esprit trop anarchiste pour prendre une position », « en face des crimes qui s’accomplissent chaque jour contre la liberté de l’âme et du corps, il serait lâche de rester immobile ». Quelques jours plus tard, le 10 mai, les Allemands lancent leur offensive-éclair sur la France par les Ardennes, enfoncent le front de l’Aisne et de la Somme entre le 4 et le 8 juin, poussent dix millions de Français à fuir vers le sud. Le 22 juin, l’armistice est signé, la France coupée en deux. Or, paradoxalement peut-être, Cocteau, parti début juin en exode jusqu’à Perpignan, choisit de revenir en septembre dans Paris occupé, qu’il ne va quasiment pas quitter jusqu’à la Libération.

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Le paradoxe s’explique si l’on considère l’extrême difficulté que Cocteau éprouve à « prendre position » en politique, compte tenu de ses convictions de toujours ou presque sur le rôle du poète. Cependant il y a un front sur lequel il estime devoir agir : celui de la culture. « Dès le début de l’occupation, la consigne était de freiner l’expansion de la culture française », note dans ses souvenirs le lieutenant Heller, alors responsable de la section Schrifttum (questions littéraires) à la Propagandastaffel. Claude Arnaud commente le propos dans sa biographie du poète (Gallimard, Paris, 2003) : « De Charles Dullin aux patrons de cabaret, de Sacha Guitry au directeur du concert Mayol, ce fut un réflexe dominant : il fallait rouvrir théâtre et lieux de nuit, afin de montrer aux Allemands la persistance, sinon la supériorité de l’art de vivre français […] »
Cocteau déploie de fait une activité considérable durant l’Occupation, d’abord sur le front du théâtre, puis du cinéma. Il se pose même en rassembleur et leader d’une réaction artistique, en publiant dans La Gerbe du 5 décembre 1940 une « Adresse aux jeunes écrivains », que suivent d’autres appels similaires à la radio (le 3 mai, avant la diffusion de La Machine à écrire) ou dans la presse, avec notamment un article dans Patrie, « revue mensuelle de l’Empire » : « Le théâtre est mort ! Vive le théâtre ! » (n° 3, 1941).

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La position de Cocteau durant l’Occupation n’est pas exempte de déboires ni de faux pas.
Tête de Turc des milieux collaborationnistes, en particulier des publicistes de Je suis partout (Rebatet, Laubreaux), il doit faire face en 1941 à une campagne très violente suscitée par les représentations de sa nouvelle pièce, La Machine à écrire, au théâtre des Arts (avril-octobre) et la reprise fin octobre des Parents terribles au Gymnase, dont les représentations sont troublées par des manifestations dures. L’écrivain Céline, d’abord solidaire, le sacrifie à sa haine des juifs quand il apprend l’existence de l’appel publié en 1940 dans Le Droit de vivre : « Étiez-vous ami de Lecache ? Alors vous ne pouviez être le mien, cher Cocteau. J’écrivais à Laubreaux : Cocteau décadent ? Tant pis. Cocteau licaïste ? Liquidé » (Lecache, directeur du Droit de vivre, fondateur de la LICA ou Ligue internationale contre l’antisémitisme en 1928, précédemment Ligue contre les pogroms).

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Cependant Cocteau a aussi des relations côté allemand et par exemple avec Arno Breker, vieille connaissance (ils se rencontrent en 1925), qui reprend contact avec lui à l’automne 1940, alors qu’il est devenu le sculpteur favori de Hitler. Breker offre à Cocteau sa protection en cas de péril grave (ainsi qu’à Picasso). Tout cela pousse le poète à publier au printemps 1942 un salut à l’artiste allemand à l’occasion d’une exposition qui lui est consacrée à Paris. Geste provocateur, qui se veut apolitique (« Je vous salue de la haute patrie des poètes, patrie où les patries n’existent pas »…) mais ne peut guère être perçu comme tel. Il lui est aussitôt reproché par Éluard, Mauriac, et lui vaut d’être inquiété à la Libération par le Comité de libération du cinéma français (28 novembre 1944), puis par le comité d’épuration du Comité national des écrivains. Cocteau est à chaque fois acquitté, avec, notons-le, la protection d’Éluard et Aragon, tous deux communistes et résistants, dont l’influence s’avère décisive dans le processus de l’épuration littéraire.

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Dans son journal des années 1942-1945, Cocteau salue la Libération de Paris le 25 août 1944 comme une « grande journée » et raconte les jours décisifs : panique et fuite des collabos, formation secrète des groupes F.F.I., drapeaux qui pavoisent, barricades et combats des toits, arrivée du général de Gaulle le lendemain, etc. Dans Les Nouvelles littéraires du 5 avril 1945 (l’hebdomadaire reparaît pour la première fois depuis juin 1940), un poème célèbre le souvenir de cette « grande journée », qui fut suivie, dans la vie du poète, de l’enrôlement volontaire de Jean Marais dans l’armée Leclerc.