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« Le cancan (1920) », dessin écarté de l’album Dessins (1923). « Cette danse touche le Parisien comme la corrida l’Espagnol. Elle s’achève sur le grand écart » : à l’avant-dernier chapitre, Germaine abandonne Jacques pour Stopwell, au roller-skating, pendant qu’un orchestre nègre accompagne un numéro de cancan. Entre eux, c’est le grand écart.

En mai 1922, Cocteau quitte un milieu littéraire parisien qui, autour de Breton notamment, lui mène la vie dure (« ce cercle de cannibales autour de moi m’empêche de vivre »), pour passer l’été avec Raymond Radiguet au Lavandou, près de Nice. Radiguet y termine Le Diable au corps et commence Le Bal du comte d’Orgel. Dans les lettres à sa mère, Cocteau ne tarit pas d’éloges sur le nouveau roman, « plus beau que Proust et plus vrai que Balzac » (15 juillet), « sans conteste un des plus beaux romans qui existent » : « Il a réussi, après le roman du cynisme venant de l’extrême jeunesse, le roman de la pureté. » (3 octobre).
Le Grand Écart, amorcé en juillet 1922, terminé en octobre, se présente aussi comme un roman de la pureté : « Le personnage n’est pas moi », écrit l’auteur le 19 juillet, « mais il me ressemble par certains côtés. Ce sera un cœur riche et pur mêlé aux bassesses d’une ville et qui marche au bord comme les somnambules au bord d’un toit. Une sensibilité qui désire dans le vague, trouve un jour une réponse courte et se dépense comme s’il s’agissait d’un amour éternel. En somme, les “confessions d’un enfant du siècle” sous une forme très simple et très vivace » (lettre à sa mère).

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Le Grand Écart est aussi un roman de l’inquiétude. Cocteau a envisagé de mettre en épigraphe cette « pensée » de Pascal, librement citée dans une autre lettre à sa mère du 6 octobre : « Qui ne croit pas tout cela que l’homme est égaré, qu’il est tombé de sa place, qu’il la cherche avec inquiétude » (Pensées, numéro 477 dans l’édition Brunschwicg, numéro 313 dans l’édition Lafuma). Le thème situe Le Grand Écart dans la suite du Potomak, ses Mortimer fermés à toute inquiétude et ses Eugènes fauteurs de troubles. C’est un thème à la mode, sur lequel Radiguet ironisera peu après dans un article sur Le Diable au corps (Les Nouvelles littéraires du 10 mars 1923). Mais il se nourrit profondément, chez Cocteau, de l’état de démoralisation dans lequel il se trouve un mois après avoir commencé : « Je n’ai plus de place que pour sentir les haines qui m’entourent, l’incompréhension, la coalition des vieux et des jeunes. […] Supporterai-je Paris ? Je me le demande avec angoisse. Pardonne ces jérémiades. Ni Auric ni Radiguet ne me comprennent. Trop jeunes » (lettre à sa mère, 14 août). Le premier titre est éloquent : « Mon roman s’intitule La Moitié d’ombre. C’est de cette moitié d’ombre que m’arrivent toutes ces vapeurs noires » (même lettre).