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Dessin publicitaire pour les deux « boîtes » de Louis Moysès rendues célèbres par Cocteau. Notes sur une fiche d’hôtel. Dessins de l’édition de 1957. « J’ai aimé Madeleine Carlier — c’était mon premier amour — ce n’était pas le sien hélas. C’est le sens du titre Le Grand Écart. »

La figure de french cancan à laquelle renvoie entre autres le titre n’en résume pas le sens, comme le soulignait l’auteur dans une première version de son article « Autour de Thomas l’imposteur » en 1923 : « C’est très grossier les titres qui résument un roman ou qui l’expliquent. J’ai choisi un titre brutal qui possède un sens exact et qui prête à plusieurs interprétations. C’est l’école de Le Rouge et le Noir. J’ai même décrit un vrai grand écart dans un chapitre, à seule fin que les naïfs se disent : Le voilà, le titre, le voilà ! » Autre sens, et sans doute le principal : « J’ai aimé Madeleine Carlier — c’était mon premier amour — ce n’était pas le sien hélas. C’est le sens du titre Le Grand Écart. » (note sans date sur une fiche d’hôtel).

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Le Grand Écart compte dix chapitres et un épilogue. Il commence de manière paradoxale, par un portrait du personnage principal tel qu’il devient vers la fin du roman seulement : « Nous venons de peindre Jacques de face, mais ici même son caractère ne se dessine encore que de profil […] Jacques deviendra l’homme qui précède à cause, en partie, de ce qui va suivre ; et il lui arrivera ce qui va suivre, en partie à cause de ce qui précède. »

Caractère imprécis et sans contours, habité d’une « croyance vague », Jacques Forestier, provincial de bonne famille, arrive en pension à Paris pour préparer son baccalauréat. Il vit une liaison passionnée avec Germaine, une petite actrice entretenue par un riche amant, Nestor Osiris. Amoureux, il voit tout « sous l’angle de Germaine » et se laisse insensiblement aveugler sur l’immoralité du milieu dans lequel elle vit : « Il vivait trop en sa maîtresse pour juger ses actes ou sa famille. Maintenant, c’est sa moitié d’ombre qui crache comme une sèche des nuages d’encre sur sa moitié claire. »

L’événement décisif qui fait de lui un homme est raconté au chapitre 8 : Germaine le lâche pour un autre. « Et voici où nous le rencontrons au commencement de ce livre. Il se cambre. Il résiste. Redevenu Jacques, il se regarde dans le miroir ». Chapitre 9 : Désespéré, Jacques tente de se suicider d’une overdose. Mais la mort ne veut pas de lui… Chapitre 10 : convalescence chez sa mère, à l’hôtel puis à la campagne. Il comprend que l’amour de Germaine lui avait donné une forme dans laquelle il pouvait s’incorporer, s’emboîter richement, mais qu’elle est de la race du « diamant qui coupe la race des vitres. » Épilogue : Retour à Paris. Nestor, rencontré fortuitement, lui lance une parole décisive, sur laquelle il décide « coûte que coûte, de se bâtir le caractère ».
Ironie du roman : c’est Nestor, l’homme « prodigieusement crédule », berné, floué par sa maîtresse, aveugle à ses trahisons, qui donne à Jacques la leçon de sagesse de la fin.