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Cocteau président du club de football de Milly (vers 1950). Deux dessins, publiés dans l’album Dessins (1923) et dans Les Cahiers de la République des Lettres (n° 6, 15 mai 1927).

On a pu le dire sportif : son physique et sa santé n’en témoignaient pas, et le seul sport auquel Cocteau se disait bien entraîné et qu’il pratiquait avec plaisir est celui « que 1580 appelait conférence, et qui est la conversation » (La Difficulté d’être, 1947). Le poète n’avait sans doute pas les moyens de devenir un champion, sinon dans le domaine de la parole, mais il a trouvé dans le sport comme dans certains arts du spectacle (cirque, music-hall) une école de discipline et de défis pour sa propre vocation de poète, défis d’abord relevés « sur le terrain » avec pas mal de cran, quand il s’est agi de monter dans l’avion de Roland Garros ou de faire remonter Al Brown sur le ring pour un ultime come back. La pensée est aussi un sport : « Je suis toujours suffisamment entraîné pour pouvoir, par la pensée, sauter six chaises », dit-il ainsi dans une interview en 1927.

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De l’aviation à la boxe, du tennis à l’athlétisme, les références au sport en général ou à tel sport en particulier viennent donc souvent sous sa plume pour parler de la création artistique, dont le premier partenaire, avant même le public, est l’ange qui taquine le poète ou le tourmente et que Le Secret professionnel en 1922 décrit comme un « beau spécimen de monstre sportif ». Quant au public, au lecteur, au spectateur, il est tout naturellement vu comme un partenaire de jeu, à qui il revient de comprendre à quel jeu le poète veut jouer avec lui, et selon quelles règles. La variété des genres, des œuvres, des publics, suscite en effet une variété de sports et de règles. Cocteau parle par exemple de jeu de pelote basque ou de jeu de massacre pour rire à propos des pages où il maltraite Barrès (La Noce massacrée) ou Flaubert (dans Le Secret professionnel).

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Inversement, le poète élève le sport, dans ses moments de chance, de réussite, de grâce, au rang de poème actif. S’il en aime l’élégance, il en aime tout autant sinon plus la « monstruosité », celle qui règne dans l’effort : « Avant tout, le sport est laid, il crée de la laideur. Les athlètes ne sont point beaux et le rictus de l’effort est un grimacement qui m’émeut. Des veines gonflées, des muscles disproportionnés et monstrueux, telles sont les caractéristiques du sport. J’aime la laideur, car la beauté est bête et nous vivons un temps où chacun peut la comprendre » (interview dans Les Cahiers de la République des Lettres, des Sciences et des Arts, n° 6, 15 mai 1927.) C’est cette aimable laideur que de nombreux dessins « grotesques » de l’album de 1923 publié chez Stock, et quelques autres écartés sur épreuves, s’amusent à montrer.

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« Messieurs, lorsque j’admire un peintre, on me dit : “Soit, mais ce n’est pas de la peinture.” Lorsque j’admire un musicien, on me dit : “Soit, mais ce n’est pas de la musique.” Lorsque j’admire un dramaturge, on me dit : “Soit, mais ce n’est pas du théâtre.” Lorsque j’admire un sportif, on me dit : “Soit, mais ce n’est pas du sport.” (C’est ce que j’entendais après chaque match d’Al Brown.) Et ainsi de suite. Mais alors, demandais-je : “Qu’est-ce que c’est ?” Mon interlocuteur hésite, l’œil dans le vague et murmure : “Je ne sais pas… C’est autre chose.”
J’ai fini par comprendre que cet autre chose était, somme toute, la meilleure définition de la poésie. »
(Jean Cocteau, Discours de réception à l’Académie française, 20 octobre 1955.)