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Le « tour du monde en quatre-vingts jours » de Jean Cocteau a lieu du 29 mars au 17 juin 1936. Son reportage paraît en feuilleton dans Paris-Soir du 1er août au 3 septembre, illustré de photographies, avant d’être repris en un volume publié chez Gallimard en février 1937.

Livre unique dans la carrière de Cocteau et dans le siècle à ce degré de réussite, Mon premier voyage préfigure un tourisme fondé sur l’exploit quantitatif. « Je dois avancer à la surface du globe par saccades », se plaint l’écrivain, sauvé par son infaillible coup d’œil. Viser juste et tirer vite : qualités éminentes du bon reporter. Ses textes prennent l’allure de notes brèves, d’instantanés tirés à cadence rapide, riches de formules lapidaires et contrastées. Italie, Grèce, Égypte… D’Athènes la « ville légère » au « manège de montagnes russes » de New York en passant par Aden « vestibule des Indes, lieu maigre, scorpion, cactus » « planté sur le monde comme un couteau », la poésie géographique fait l’unité et la continuité du livre.

 

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Avant l’américanisation du monde, Cocteau s’élance sur la mosaïque des races. Brièvement et comme en passant, il donne la réplique à Maurras et Barrès lors de son passage en Grèce. La découverte de terres plus lointaines, étrangères à la civilisation gréco-latine, l’entraîne vers une réflexion de moraliste. Il montre l’ouverture d’esprit d’un Montesquieu lorsqu’il découvre « le ce qui se fait et le ce qui ne se fait pas des peuples », la diversité des modes, des coutumes, des règles de vie. Il enseigne que toute singularité trouve son explication et toute injustice sa justesse… non sans exagération, comme dans cette conclusion d’un parallèle entre la médiocrité de la vertu chez les Européens et la noblesse du vice chez les Orientaux : « Après un tour du monde rapide, l’idée de vice n’existe plus. »

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À la fin du périple, le Japon et les États-Unis saluent le champion, la vedette que Cocteau, son pari gagné, est devenu : « Être reçu dans les capitales du globe comme un prince de lune devant lequel s’ouvrent les théâtres et les bourses (j’allais oublier les cœurs !), il y a de fortes raisons de perdre la tête et de maudire sa propre langue » (« Je chante », Ce Soir, 31 mai 1938).

 

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Mon premier voyage est un livre de chance : le monde craquait de toutes parts. Il serait bientôt à feu et à sang. Sur l’itinéraire convenu, les avions n’avaient pas encore supplanté les bateaux. La loi de l’uniformité mercantile n’avait pas encore sévi sur les modes et les coutumes, gommant les pittoresques (encore qu’ici ou là Cocteau en relève les signes avant-coureurs). Il était temps de relever le défi de Jules Verne.

(D’après un article de Jean Touzot publié dans Le Siècle de Jean Cocteau, Actes du colloque international de Toronto [1998], Publications de Montpellier III, Montpellier/Toronto, 2000.)