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Deux dessins inédits retirés sur épreuves de l’album Dessins (1923), et un montage inédit de Jean Harold. Photo montrant le livre ouvert de Eduardo Arroyo, Cocteau – Panama Al Brown : historia de una amistad (1994).

« Je ne goûte pas la boxe. Il est rare que j’arrive avant le match d’Al et que je ne parte pas ensuite », écrit Cocteau après l’« aventure » Al Brown, ce champion du monde (catégorie poids coq) de 1929 à 1935, qu’il va aider à reconquérir son titre perdu, chose faite le 4 mars 1938 (« J’ai connu Al Brown… », repris dans Poésie de journalisme (1935-1938, Paris, Belfond, 1973.) Cocteau n’est pas attiré “naturellement” pas la boxe mais la découverte du personnage d’Al Brown, hautement séduisant, trace la voie d’un pari tentant, dans un moment où, tourné vers le journalisme, en quête pour son théâtre d’un public aussi passionné que celui des matches sportifs, il cherche  un nouveau souffle.
Al Brown, dont Cocteau n’hésite pas dans Le Cordon ombilical (1962) à faire une de ses œuvres au même titre que ses pièces de théâtre ou que la chapelle de Villefranche, lui est comme un double, dans le gabarit, la silhouette, les mœurs (opiomane et homosexuel), le dandysme, l’apparence de facilité et de vie facile, la générosité, comme, au moment de leur rencontre dans un cabaret parisien, dans la déchéance. La marche au succès du champion noir devient une parabole de sa vie d’artiste. 
D’autres éléments le rapprochent encore du « poids coq » : l’intelligence stratégique, la capacité à encaisser les coups, la conviction de pouvoir vaincre en dépit de ses  faiblesses… « L’analogie de ses méthodes et des miennes m’avait frappé au point que je formai l’étrange projet de le sortir de son désastre de drogues et d’alcool, de prouver, en le remettant sur le ring, que l’intelligence, si le sportif exerce la sienne, est une arme capable de remplacer la force », rapporte Cocteau dans Le Cordon ombilical. Le poète n’a pas eu besoin d’être convaincu ni même initié pour se fondre dans l’esprit du sport et du personnage.

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« Mesdames, messieurs,
Il y avait une fois un célèbre boxeur qui semblait l’ombre de lui-même et qui se nommait Al Brown. Il était l’idole de la foule, il émerveillait les artistes et le milieu sportif. Il portait depuis sept années le titre redoutable de champion du monde et, avec la grâce d’un insecte de bronze, il touchait son adversaire au seul endroit qui permette de rendre inoffensif un bloc de marbre et de le coucher, mou, sur le sol.
Sorcier de naissance, il savait se changer en fumée, en arbre, en hirondelle, en fil d’araignée, en panthère, en chien, en mouche… et même devenir invisible. Le public voyait Brown. L’adversaire voyait ce que Brown voulait lui faire voir. »
(Jean Cocteau, « Présentation d’Al Brown au public du cinéma Montparnasse le soir du 31 décembre » (1946), repris dans Le Foyer des artistes, Plon, Paris, 1947.)

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Les photographies montrant Cocteau et Al Brown avec son team sportif sont rares : le poète n’était pas vraiment le bienvenu dans ce milieu de la boxe, même si on lui sut gré d’avoir finalement su ramener la « merveille noire » sur les rings. Le poète, souvent discrètement relégué aux troisièmes ou quatrièmes fauteuils, évoquera même sa crainte du lynchage après une victoire amère de son protégé : on l’aurait soupçonné d’avoir soudoyé les juges.