Cocteau écrit son roman en puisant dans ses souvenirs, comme il l’évoque des années plus tard dans Le Cordon ombilical (1962) :
« Lorsque j’écrivais au Lavandou Le Grand Écart qui, sans Jacques Chardonne, serait peut-être resté sur ma table, je croyais encore à l’efficacité du souvenir.
À dix-sept ans, j’étais amoureux fou de Madeleine Carlier, actrice sur les bords, que Liane de Pougy Ghika comparait à un brugnon et dont la haute coiffure en désordre préfigurait celle de Brigitte Bardot. Madeleine avait trente ans et le conseil de famille s’effrayait de me voir vivre avec “une vieille femme” (sic). Bref j’étais heureux de fixer mon amour d’adolescence et le désespoir qui me laissa de longues cicatrices alors que Madeleine me préféra un de mes camarades de classe.
La pension (rue Claude-Bernard) de M. Dietz, grand-père et arrière-grand-père de Pierre Fresnay et de Roland Laudenbach, fit le reste. »
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Cependant la biographie est aussi mise à distance (l’édition de la Pléiade fait le point là-dessus) : s’il « affecte le genre autobiographique », Cocteau compose bien son livre comme un roman, et même comme une étude du genre romanesque, nourrie de larges lectures là aussi bien décrites dans l’édition en Pléiade : René de Chateaubriand, Adolphe de Benjamin Constant, La Confession d’un enfant du siècle de Musset, Le Père Goriot de Balzac, Bel-Ami de Maupassant, Madame Chrysanthème de Pierre Loti, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde…
Il s’agit aussi pour lui d’élargir le clavier des genres dans lesquels il s’est manifesté jusqu’à présent (poésie, critique, théâtre) :
« Maintenant que j’ai un livre de vers : Discours du Grand Sommeil — Cap — Poésies — Vocabulaire,
un livre de critique : Coq et A. — Carte blanche — Visites à Barrès — Secret prof,
Le Potomak (préface à ces livres),
et sans doute bientôt un livre de théâtre avec : Les Mariés — Antigone — pièce annamite [L’Épouse injustement soupçonnée] Roméo et Paul et Virginie —, j’oubliais le livre de dessins [l’album Dessins, livre annoncé par Stock en 1922, finalement paru en 1923], je veux étudier le roman. »
(Lettre à sa mère, 6 octobre 1922).