Édition originale de la pièce (Stock, Paris, 1930).
Cette pièce en un acte est interprétée pour la première fois à la Comédie-Française le 17 février 1930 par Berthe Bovy, dans un décor de Christian Bérard, dont c’est la première d’une longue suite de collaborations avec Cocteau, jusqu’à sa mort en 1949. Autre première, pour le Théâtre de la Comédie-Française : la mise en scène est laissée à l’auteur lui-même.
Ce solo est devenu une des œuvres phares du théâtre de Cocteau. Il est constamment joué dans le monde entier. « Les “Mademoiselle” de La Voix humaine commencent, sur la scène du Français, à prendre l’air du “Madame” des tragédies de Racine » notait l’auteur dès 1935 dans Portraits-Souvenir.
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« L’auteur aime les expériences » déclare Cocteau dans sa préface. De fait il réussit un tour de force avec ce monologue-dialogue où une amoureuse seule en scène parle pour la dernière fois à son amant au téléphone.
Cet « accessoire banal des pièces modernes, le téléphone » (Préface), est promu au rang non seulement d’acteur à part entière, mais d’acteur permanent. Son rôle visuel en est considérablement accru : il accompagne de son inertie implacable toutes les poses de l’actrice, tantôt parlant, tantôt écoutant ; poses violemment découpées et grossies en 1930 par des jeux de lumière doublant le drame d’un jeu d’ombres qui l’amplifie et le simplifie à la fois, dans une nudité anonyme et tragique. Par ailleurs, le jeu de scène fameux de l’actrice enroulant le fil du téléphone autour de son cou montre que Cocteau ne néglige pas le pathétique visuel de la machine parlante.
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Cependant la pièce, comme l’indique le titre, s’adresse d’abord à l’oreille, ce dont témoigne son succès de radiodiffusion en France dans les années trente. Y prennent toute leur place les « imbroglios que propose l’appareil », avec ses coupures, les attentes pour avoir la ligne, les oreilles intruses, malveillantes ou indifférentes ; mais l’auteur dit avoir voulu « fuir le brio, le dialogue du tac au tac », et faire surtout passer le drame dans « les singularités graves des timbres, l’éternité des silences » (Préface). La nouveauté est que, plus que les mots échangés, c’est la matière même de la voix, ses rythmes, ses timbres, ses hachures, etc., qui devient le véhicule des sentiments. Face à quoi, le téléphone apparaît pleinement comme une des formes proprement modernes du pathétique. Un critique a très bien senti cela à la création :
« On aurait tort de n’écouter La Voix humaine que phrase après phrase. Ce qui surtout est émouvant ici, c’est la situation elle-même, ce drame de la présence-absence, ce dialogue-monologue ; et ce qui fait de cette scène rapide une vraie tragédie, c’est cet appareil insensible, image de la fatalité, plutôt que les paroles qu’il apporte et emporte. »
(Pierre Bost, Revue hebdomadaire, mars 1930.)