Programme de la création au Théâtre des Ambassadeurs, le 14 novembre 1938. Mise en scène d’Alice Cocéa, qui interprète aussi le rôle de Madeleine. Décors de Guillaume Monin, secondé par Christian Bérard (non crédité). Son : Yvonne de Bray et Jean Marais dans l’acte I, scène 4 (disque Festival).
Les Parents terribles, c’est le premier succès phénoménal de Cocteau au théâtre. D’expérience en expérience, depuis le spectacle total des Mariés de la tour Eiffel et la formule de la pièce « prétexte à mise en scène » (sous-titre de Roméo et Juliette), après des années de « théâtre grec » (d’Antigone à La Machine infernale et Œdipe-roi) et une incursion dans la féerie arthurienne (Les Chevaliers de la Table ronde), le voici qui revient, pour cette nouvelle pièce, à la tradition du théâtre de boulevard, du vaudeville bourgeois… du théâtre populaire, en fait.
C’était l’inspiration de deux pièces de jeunesse écrites en 1912 et 1913, restées inédites (Élisabeth Patter et Albion ou le Parfait Gentilhomme), et surtout du Baron Lazare en 1920, autre pièce restée inédite, composée pour relever le défi du « succès de boulevard » que ses ennemis lui reprochent précisément de mépriser. Mais cette fois, outre son goût des « volte-face profondes » évoqué dans le programme de la création, qui pousse Cocteau à changer de style d’une œuvre à l’autre, d’autres motifs entrent en jeu : il a cruellement besoin d’argent ; Jean Marais, entré dans sa vie depuis un an, lui demande, après avoir joué dans Œdipe-Roi, « un rôle moderne, vivant, excessif, où je devrais pleurer, ne pas être beau » (Histoire de ma vie, Albin Michel, 1975). Son admiration des salles populaires, capable de se passionner pour des spectacles sportifs, fait le reste.
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Ainsi, « après des excès décoratifs, je décidai », se souvient Cocteau en 1941 au moment de la reprise de la pièce au Gymnase, « de ne plus compter que sur le texte, sur une chaîne de gags dramatiques, sur des grands rôles confiés à de grands acteurs » (Comœdia, octobre 1941).
Cependant, fidèle au credo de son ami, maître et élève de Raymond Radiguet au début des années vingt, selon lequel un auteur prouve son originalité en cherchant à être banal sans y parvenir, Cocteau aborde le boulevard avec une « feinte simplicité », sur laquelle il s’explique dans le texte du programme et les nombreux textes et interviews donnés au moment de la création.
À lire le programme, Les Parents terribles ressemble bien à une vraie pièce de boulevard (avec des emprunts au mélodrame, lit-on) mais resserrée, débarrassée de ses « chevilles » : « […] décors, costumes, gestes décoratifs, noms de famille qui sonnent faux, coups de téléphone, lettres, domestiques », cigarettes, partie de cartes… C’est que, selon l’article paru au Figaro (8 novembre 1938), Cocteau s’est imposé « l’économie » d’une pièce de Racine : sous l’apparence d’un vaudeville mélodramatique, la facture en est aussi réglée qu’une tragédie classique.
C’est pourquoi aussi, s’il recourt à la tradition des monstres sacrés, tradition du boulevard, en faisant d’abord appel à Yvonne de Bray (remplacée au cours des répétitions par Germaine Dermoz), il empêche que la pièce ne repose entièrement sur la présence d’une vedette : « […] les rôles doivent être sacrifiés à la pièce et la servir au lieu de se servir d’elle. »