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Le général fait un discours (photographies de la création).

« On applaudissait une farce, une satire, rien de ce que j’ai voulu », se désole Cocteau dans Le Secret professionnel (1922) : en effet, tout en cherchant à faire rire un public qui vient au théâtre pour s’amuser, Cocteau a aussi conçu son divertissement comme un jeu plus raffiné, capable de satisfaire les esprits les plus subtils. Derrière la farce, il y a une « construction de l’esprit », dit-il dans la préface de 1922. Le spectacle repose sur une feinte simplicité, une simplicité qui « stupéfierait l’ombre de Molière par sa complication », écrit Cocteau dans Le Secret professionnel (1922).

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Une « construction de l’esprit » : de fait, l’action du ballet procède en partie de jeux de mots pris en plusieurs sens ou au pied de la lettre. Le chasseur d’autruche devient un chasseur de restaurant, la dépêche lettre est « dépêchée » par le chasseur, c’est-à-dire expédiée dans l’autre monde, avant de réapparaître avec d’autres en dépêche « estafette » pour une danse. La formule rituelle du photographe (« Attention, le petit oiseau etc. ») fait sortir de son appareil détraqué de drôles d’oiseaux, lesquels font leurs numéros.
Il y a esprit aussi au sens où le comique de situation ou de mot n’est pas dénué de profondeur. Il faut parfois au spectateur pas mal de vivacité pour saisir au vol et comprendre la finesse profonde de telle ou telle réplique, par exemple dans ce tac au tac, dont le côté absurde cache une pensée profonde sur l’art : « Mais cette dépêche est morte / C’est justement parce qu’elle est morte que tout le monde la comprend. » Un critique regrette d’ailleurs, à la création, ces « quelques phrases trop délibérément profondes sous leur feinte bonhomie », qui selon lui « déparaient […] une bonne humeur et une fantaisie à d’autres moments agréables » (Jean Bernier, Comœdia illustré, juillet-août 1921).
Il y a enfin « construction de l’esprit » au sens où le spectacle mobilise une culture, nécessaire par exemple pour saisir et goûter les allusions aux pages de grands auteurs (Molière, Baudelaire, Hugo, Jarry, Feydeau), les jeux sur les clichés du langage bourgeois, le « mariage secret entre la tragédie à l’antique et la revue de fin d’année, le chœur et le numéro de music-hall » et la réflexion sur les arts menés à la faveur de tout cela.

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Assurément, toute la saveur de ces jeux est dans leurs non-dits, leurs implicites. Dans cette comédie-ballet enjouée, Cocteau tire vite et juste (pas comme l’excentrique chasseur d’autruche), il se dépêche et les « cartes postales », les numéros fusent sans donner aux spectateurs le secours d’un développement d’idées, d’une explication, d’un approfondissement. Une farce, Les Mariés de la tour Eiffel ? « Erreur de perspective », que la préface de 1922 met « sur le compte du manque de développement des idées. Développement que l’oreille a coutume d’entendre, depuis la pièce à thèse et le symbolisme ». Mais il y a beaucoup de plaisir à deviner, à développer, à interpréter, bref à explorer ce que la préface de 1922 appelle avec Gide « la part de Dieu ».