Cocteau donne à sa petite tragédie le genre populaire d’un numéro de cabaret, dans la tradition d’époque des diseuses réalistes. « On dirait d’un sketch commandé par une vedette et destiné aux intermèdes de music-hall », écrit Pierre Brisson dans Le Temps (24 février 1930). Claude Berton détaille ces choix de mise en scène dans deux articles dont nous donnons ci-dessous des extraits.
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« Au milieu de la demi-obscurité d’un décor de teinte neutre, une chambre à coucher, sans autre meuble qu’un grand portrait d’homme sur le mur, un lit, une petite table, une femme est étendue par terre : l’Abandonnée. Son déshabillé, habilement, évoque le péplos tragique, Hermione.
Elle se lève, fait quelques pas. Projecteurs. La rampe l’enveloppe des rougeoyantes réverbérations sinistres d’un foyer imaginaire. Elle parle, s’avance vers la table et tourne le commutateur d’une forte lampe dont elle reçoit la clarté blonde intense, en plein visage. Elle prend le téléphone et demande la communication. Le drame est commencé. […] La communication est coupée, reprise, interrompue encore. Quelqu’un sur la ligne écoute. Et à chaque instant, l’abandonnée, tournée vers les lumières de la lampe, reçoit son illumination de projecteur, qui balaie sa face afin d’en faire jaillir toutes les expressions. »
(« L’Univoque », Le Quotidien, 23 février 1930.)
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« Ces plaintes d’une femme abandonnée, qui feint de se soumettre à son abandon et s’entretient avec son infidèle, par le téléphone, sont du plus net réalisme, sans dépasser, comme invention, ce que des Bataille et autres ont pu imaginer dans le genre. Ce qui est original, personnel et très spécial à Cocteau, c’est l’arrangement, la présentation, qui sont alors du music-hall. Le grossissement des effets par des jeux de lumière et des attitudes dans un décor neutre, s’opère exactement selon les lois de l’optique d’un numéro de music-hall, destiné à agir sur les nerfs du public par la répétition croissante des expressions sous des éclairages variés. C’est un sketch fort réussi, fort bien exécuté, fort émouvant, destiné à un très grand succès. »
(« Reflets du temps », La Femme de France, 16 mars 1930.)
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Cependant, sous l’apparence d’un drame réaliste exécuté comme un sketch, la pièce se rattache bien à l’esthétique classique de Cocteau.
Le monologue-dialogue ne coule pas : il est haché, coupé, découpé par les silences, par les répliques qu’on n’entend pas, par les interruptions réciproques, par les coq-à-l’âne du propos, par le « mécanisme de gags tragiques » (Cocteau) qui donne aux spectateurs une détente passagère en les faisant rire par des détails triviaux, dissonants mais humains (le dentiste, le chien, les incidents de ligne).
Le décor de Bérard, aux arêtes délimitées, au profil géométrique, s’impose par « la justesse des proportions, la mise en place des lumières » (Jean Cocteau, dans Paris-Midi, 7 février 1930). Enfin, l’auteur demande à la comédienne du rôle de fuir le pathos, de contrôler sa sensibilité, de jouer dur, sec, comme lui-même aime et manie la phrase française. Il s’agit de se hisser jusqu’au tragique, pas de se perdre dans le pathétique.
Ainsi, tout l’acte repose à la création sur des dosages.