Quand il s’agit de croquer des silhouettes, de dessiner des portraits (Sem dessinant ou Polaire en patins, Catulle Mendès en marche, la comtesse de Noailles en conversation, etc.), Cocteau fléchit toujours un peu le rythme de sa phrase. On sent qu’il s’arrête pour considérer la chose, décanter le souvenir, aiguiser le coup d’œil, et que le croquis s’impose avec l’intensité du détail bien placé et de l’image bien vue et souvent drôle.
Dans un dessin datant sans doute de 1912, le célèbre caricaturiste Sem avait associé La Danse de Sophocle (paru cette année-là) à l’enthousiasme du jeune poète pour les Ballets russes, en l’affublant d’un plumage signé « Bakst », le grand décorateur des Russes.
Cocteau l’épingle à son tour magnifiquement dans Portraits-Souvenir. Ici, la revue précise des parties, la brièveté preste des images, saisissent prestement le caricaturiste dans le lasso d’une seule longue phrase. « Sem dessine » :
« Ses doigts, ses lunettes rondes, son bout de crayon, les calques de papier pelure qu’il chiffonnait et superposait, ses rides, sa mèche, son parapluie, sa silhouette naine de lad semblaient se ratatiner, se grouper autour de sa volonté de mordre, l’ensemble de sa personne se nouant comme un mouchoir pour l’empêcher d’oublier un seul détail d’une physionomie à l’étude. »