« 2 mars 1949.
Hier soir, la répétition des Parents terribles était surprenante. Le film m’a incité à faire certaines corrections dans le texte. Mais cela révolte mes acteurs. La pièce leur appartient, telle qu’ils l’ont jouée. Le reste ne compte pas. La souffleuse souffle le texte de mes œuvres complètes de théâtre chez Gallimard. Les acteurs se fâchent. Leur colère est encore de cette famille. Si l’un rate une balle, l’autre la ramasse. Ce sont les échanges de la coupe Davis. Les trois actes se sont déformés sur eux. L’étoffe d’un film est trop courte. Au théâtre il faut de la perte, du poids, de la main. Ils exigent cette large et longue étoffe. Ils ne jouent plus la pièce. Ils s’y drapent. Ma substance est devenue la leur. Je les écoute, je les regarde, bouche bée. Si j’intervenais, on ne me verrait pas davantage qu’un fantôme dans une chambre. Le théâtre n’est beau que lorsqu’il arrive à ce stade très rare. D’habitude, les interprètes se succèdent et ne parviennent jamais à former cette pâte. En somme la pièce m’a quitté. On a coupé son cordon ombilical. Elle agit à sa guise. Je la dérange. Je suis un mort dans un fauteuil. »
(Jean Cocteau, Maalesh.)