Onze ans séparent Cocteau de son aîné Lucien Daudet, fils d’Alphonse Daudet et frère de Léon, fameux polémiste de l’Action française dirigée par Maurras. Ils resteront amis de leur rencontre en 1908 jusqu’à la mort de Lucien Daudet en 1946. Peintre estimable, celui-ci fait du jeune dandy Cocteau un portrait souvent reproduit, bien accordé au témoignage d’un autre ami de ces années, Maurice Rostand : « Une petite moustache effilée et brune, dont personne ne se souvient, ombrageait son visage. Ses cheveux lisses n’affectaient aucune forme de houppe. » (Confession d’un demi-siècle, La Jeune Parque, Paris, 1948, p. 122)
Cet ami intime de Proust et de Reynaldo Hahn a droit à quelques lignes reconnaissantes dans les Portraits-Souvenir, au début du quatorzième article consacré à Léon Daudet, Jules Lemaître, Edmond Rostand et l’impératrice Eugénie : « Je dois à Lucien Daudet beaucoup de trésors. Outre celui de son amitié et d’avoir trouvé dans sa famille une autre famille, c’est par son entremise que j’ai connu l’impératrice Eugénie, Jules Lemaître et Marcel Proust. » Le début de l’article suivant évoque en passant « les séances des dames du monde poètes », le mardi chez la duchesse de Rohan, qu’ils ne rataient jamais : « Lucien Daudet, Mauriac et moi, formions une petite bande et ne nous quittions guère ».
Ce que Cocteau ne précise pas, c’est l’influence mimétique exercée sur lui par ce dandy raffiné : « Il adopte sa voix, ses gestes : en particulier celui de ponctuer ses phrases par l’index droit levé, pose du saint Jean Baptiste de Léonard au Louvre, que Lucien Daudet aurait hérité lui-même de Montesquiou. Ceux qui ont connu Jean Cocteau savent qu’il a conservé ce geste jusqu’à sa mort » (Jean-Jacques Kihm, Elisabeth Sprigge, Henri Béhar, Jean Cocteau. L’homme et les miroirs, La Table ronde, Paris, 1968).