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« Une grande vedette : le public », article publié dans Comœdia.

L’article « Une grande vedette : le public » pourrait presque résumer le recueil : réflexions d’un auteur de théâtre confirmé, il suggère aussi la manière dont cet auteur s’engage dans l’époque, sous quelle forme il conçoit son rôle de « rappel à l’ordre » dans le contexte des heures sombres de l’Occupation. « Le Rappel à l’ordre » : en 1926, c’était le titre choisi pour la première édition collective de ses œuvres critiques. Dans cet article, Cocteau semble faire jouer l’expression en un sens non seulement artistique mais politique :
« Au Courrier de Lyon, dimanche soir, nous vîmes un public incrédule, vaincu par le chef-d’œuvre des mélodrames. Peu à peu, le public cessait de sourire, devinait que le recul du temps rapproche les genres, admirait une grande intrigue effrayante de Balzac, retrouvait dans le tableau de la fin, remis en scène, le Daumier de la guillotine, le Hugo des Misérables.
Voici deux circonstances récentes où j’ai constaté que le public savait jouer parfaitement son rôle, lorsqu’il se sentait rappelé à l’ordre par le spectacle. »
L’expression renvoie d’une part à ce phénomène d’hypnose collective du théâtre qui annule les individualités et les transforme en une réalité unique, une houle réagissant instinctivement et intensément au spectacle comme un enfant de dix ans. Réflexion fréquente chez Cocteau, qu’on trouve aussi par exemple dans un article publié dans Ce Soir du 9 mars 1937, « Le problème du public », où il s’attaque au « fameux public d’élite auquel nous donnons sans réserve le meilleur de nous-mêmes » mais qui « a perdu son enfance » et se montre incapable de vivre intensément les spectacles qui lui sont proposés. Mais ici, l’expression semble aussi affirmer la capacité d’interpellation du théâtre dans ces moments sombres que la France connaît, par-delà le « recul du temps ». Peu importe, semble-t-il, que cette puissance de signification soit voulue par l’auteur, ou qu’elle constitue un « malentendu » fécond lié à l’actualité : au public, alors, de « jouer son rôle ».

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Si, dans Le Foyer des artistes, le « je » est fréquent et le souvenir plus intime, si le journaliste s’efface souvent derrière l’homme, il s’agit toujours pour Cocteau d’aider le public à se diriger dans la confusion des valeurs, à faire le tri de ce qui compte dans l’actualité des arts, aussi bien avant que pendant la guerre ou même après (dans les articles datant de 1946).
De là ces « rappels à l’ordre », adressés à diverses instances mais d’abord au public lui-même, que Cocteau voudrait voir jouer son rôle de public et non pas celui de l’auteur ou du critique : « Tout le monde est critique. Tout le monde juge. Tout le monde ferait mieux ce à quoi il assiste. Tout le monde est sur scène. Il n’y a plus personne dans la salle », se plaint-il dans le dernier article, intitulé « La critique et le théâtre ».
Le même article, relaie la question d’une enquête littéraire : « Faut-il des répétitions générales ? ». Réponse d’artiste : « J’ai répondu à l’enquête que la politesse consisterait à présenter nos œuvres aux critiques après les quinze jours nécessaires pour qu’une œuvre de théâtre trouve son équilibre. » Suit une critique de l’esprit partisan : « Les époques de primauté politique (les époques partisanes) sont impropres à la critique. Celle de l’occupation, par exemple, décidait d’avance que j’étais ignoble et ignobles mes entreprises. Celle d’Angleterre (en 1946) accuse L’Éternel Retour, légende galloise, d’être d’inspiration allemande, parce que les héros y sont blonds (sic). »