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Dessin de Jean Cocteau dans Comœdia du 8 juin 1925. Dessin de Maison de Santé (1926). Deux Carnets inédits de Radiguet (édition phototypée, Champion, Paris, 1925, 130 exemplaires), avec une postface de Jean Cocteau. Dessin de Jean Cocteau pour Le Bal du comte d’Orgel (1957). Voix : Jean Cocteau raconte la mort de Raymond Radiguet en 1950.

Radiguet meurt le 12 décembre 1923 d’une fièvre typhoïde mal soignée. Terrible malheur pour Cocteau, qui se sent amputé, « opéré sans chloroforme » d’une moitié de lui-même (Lettre à Jacques Maritain), et peine à se survivre. La mort de Radiguet l’abat durablement, le fait à la fois replonger dans l’opium et chercher un appui du côté de la religion, ce qui le conduit à se rapprocher de Jacques Maritain à partir de juillet 1924. Une amitié très affectueuse s’établit entre eux, nourrie en 1925 de nombreuses lettres et visites.
C’est en 1925 aussi que Cocteau commence à voir la mort de Radiguet sous un angle qui lui permet de l’intégrer à sa vie d’une façon non plus destructrice mais créatrice : Radiguet était fait pour mourir jeune ; ange descendu du ciel, il « allait au ciel comme un gant », dit-il dans sa Lettre à Jacques Maritain (1926). « J’avais tout de suite vu que Radiguet était prêté », ajoute-t-il, « qu’il faudrait le rendre. Mais je voulais faire la bête, coûte que coûte le détourner de sa vocation de mort. »
C’est ce qu’il écrit déjà dans une postface à deux manuscrits quasi illisibles du jeune écrivain, écrits en septembre 1923 à Piquey (bassin d’Arcachon), qu’il fait pieusement éditer en phototypie et sans titres par Champion en mars 1925 (repris dans les Œuvres complètes de Radiguet sous les titres Ébauche d’une nouvelle et Île de France, île d’amour) : « Quelquefois le ciel se cache pour nous prendre entre ses mains. Raymond Radiguet était un gant du ciel. Je savais qu’il mourrait vite, qu’il montait, qu’il avait rendez-vous. » L’album Maison de santé reprend aussi l’expression, en légende de dessins déjà beaucoup moins réalistes que celui publié dans Comœdia en juin 1925. De même, la suite de poèmes numérotés qu’il consacre et dédie à Radiguet en 1925 (inspirée par la suite de poèmes de Verlaine dédiée à Lucien Létinois dans Amour), éditée dans Opéra bis chez Fata Morgana en 1987 et repris dans la section « En marge d’Opéra » des Œuvres poétiques complètes en Pléiade.

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Ainsi, en 1925, Radiguet se transforme en un élément essentiel du mythe personnel de Cocteau, et prend définitivement place dans son œuvre aussi bien graphique que littéraire.
« L’Ange Heurtebise », composé peu après les six poèmes sur Radiguet, doit beaucoup à l’apparition-disparition de l’écrivain météore dans la vie de Cocteau. En septembre 1925, le poète songe à placer ce grand poème à la fin d’un recueil qu’il compte faire éditer sous le titre Les Gants du ciel au Roseau d’or (collection dirigée par Jacques Maritain chez Plon), avec une suite de six poèmes numérotés explicitement consacrés au jeune écrivain. Poèmes finalement écartés certes (sauf un) d’un recueil finalement édité ailleurs (Stock) et sous un autre titre (Opéra, son grand livre de poésie des années vingt). Mais le « mauvais élève » Radiguet revient peu après sous une autre forme : il est à l’origine du mythe de Dargelos dans Les Enfants terribles, ce « type de tout ce qui ne s’apprend pas, ne s’enseigne pas, ne se juge pas, ne s’analyse pas, ne se punit pas, […] premier symbole des forces sauvages qui nous habitent » (Portraits-Souvenir, 1935). L’album Soixante dessins autour des Enfants terribles (1935) lui donne les traits de Radiguet, avec sa figure « aux lèvres un peu grosses, aux yeux un peu bridés, au nez un peu camus » (Le Livre blanc, 1930).
Radiguet, dont les dessins des années vingt dégagent déjà une impression de virilité égoïste et de morgue, fournit aussi à Cocteau le prototype de ce profil masculin à l’expression souvent courroucée qui revient sans cesse dans son œuvre graphique des années cinquante, sous des identités diverses : menton fort et rond, cou puissant, sans pomme d’Adam, œil sans cils, nez peu marqué descendant du front d’un trait, épaisseur sensuelle et dédaigneuse des lèvres en saillie, qui forment un mufle érotisé accolé sans séparation au nez.