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Le jeu de « qui perd gagne ».

On ne comprend vraiment Le Testament d’Orphée qu’en lui donnant toute sa dimension protestataire. Pour son dernier film, le poète qui, depuis dix ans, s’échauffe secrètement contre « la boue » du « milieu » cinématographique, aspire à recouvrer une liberté de création aussi entière que celle dont il jouissait au moment du Sang d’un poète. Il conçoit donc ce film comme une manière de scandale, mais de scandale blanc, sans violence ni provocation. Après des années de quête et d’attente, il se lance dans la réalisation, professionnellement aberrante, d’un film sans « sujet », sans histoire racontable à son voisin, sans message aisément diffusable dans les rédactions.
Dire pour autant que Le Testament d’Orphée n’a pas de sujet est évidemment inexact. À bien des égards, même, le sujet du Testament est plus apparent que celui du Sang d’un poète. Vu cavalièrement, le film montre l’errance d’un homme foudroyé dans une époque qui n’est pas la sienne et qui, finissant par comprendre qu’il n’est en réalité d’aucun temps actuel, s’évade de notre monde.

Une autre façon, plus claire encore, de voir le sujet du film est de prendre à la lettre sa signification testamentaire. Un testament, ce sont les dernières paroles, les gestes ultimes qu’un vivant fait déjà accomplir au mort qu’il sera.
À d’autres égards, ce testament est aussi un mausolée. Le choix même du lieu où Jean Cocteau choisit de filmer sa mort est révélateur : les carrières des Baux-de-Provence offrent à sa mise en scène le décor égyptien où le poète peut mourir pour renaître. La présence de Yul Brynner, le mémorable interprète de Ramsès II dans Les Dix Commandements, contribue évidemment à faire naître dans l’esprit du spectateur cette connotation pharaonique qu’un humour constant préservera de l’emphase et du ridicule. Mais le décor n’est pas le seul en cause : Jean Cocteau fait de son film un véritable usage funéraire. Il s’y enferme avec ses amis, ses amours, ses richesses ; il y enfouit, parfois sous des formes seulement connues de lui-même, des fragments de son œuvre passée. Littéralement, Le Testament d’Orphée est une tombe, une manière de mastaba renfermant un sarcophage, des dieux, des vases canopes contenant la mythologie du poète embaumé.