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La Cinématographie française, n° 1341, décembre 1949.

Cocteau a plusieurs fois déclaré qu’il avait pris la décision de ne jamais porter son roman à l’écran. Avec clairvoyance, il redoutait de démythifier ce qui fut le livre culte d’une génération. « Le livre, assure-t-il, avait trouvé sa route et sa légende. Il jouissait de cette précision vague qui autorise chacun à se représenter les personnages comme il le veut, et je craignais de lui donner une forme visuelle réaliste. »
Les circonstances qui amenèrent Cocteau à revenir sur sa décision sont connues. C’est après avoir vu Le Silence de la mer, premier long métrage tourné par Jean-Pierre Melville en 1948 qu’il se convainc que le jeune cinéaste pouvait être l’intercesseur de ce passage à l’écran. Ce que le poète apprécie chez lui, c’est sa liberté de franc-tireur. L’allure improvisée du tournage, le manque de capitaux, l’absence de vedettes, l’emploi de décors réels, toute cette pauvreté féconde le stimule et fait de Jean-Pierre Melville, avec dix ans d’avance, un précurseur des méthodes de la Nouvelle Vague.

Pourtant, si fidèle à l’esprit du roman que puisse être l’adaptation de Cocteau, cette dernière demeure néanmoins affectée, sur plusieurs points importants, par une sensible édulcoration. Ainsi, la nature de l’attirance de Paul pour l’élève Dargelos, « le coq de la classe », reste-t-elle très imprécise dans le film. Il faut avoir lu le roman pour comprendre que Paul est malade d’amour et que Gérard, lui aussi, aime et souffre en silence. Au contraire, le film s’achève sur une « éducation sentimentale » normalisée puisque, retournant la morale même du livre, l’amour du jeune garçon est travesti en amour pour Agathe, sans que la figure de Dargelos — dont la jeune fille est un pâle succédané — ne refasse vraiment surface. Le film étouffe ainsi de façon radicale la dimension homosexuelle du roman.

Malgré toutes ces atténuations, la réception du film fut dominée par les questions morales. Le débat sur l’inceste entre le frère et la sœur, qui avait déjà été au cœur de l’accueil fait au livre vingt ans plus tôt, ressurgit de plus belle, mais sans que Cocteau s’y intéresse le moins du monde. « Aucun microbe moral, écrit-il, ne saurait vivre dans la chambre où Élisabeth et Paul se développent en marge du monde. » Mais il aura beau faire et beau dire, les journalistes de 1950, surtout ceux qui estiment avoir charge de public, continueront de regarder le couple adolescent avec une réprobation mêlée de répugnance et recommanderont à leurs lecteurs de « s’abstenir, par discipline chrétienne et pour donner l’exemple. »