Livres / Essais et journaux

Le Rappel à l’ordre

Pour un classicisme vivant

Couverture de la réédition chez Stock en 1930. Autoportrait publié dans l’album Le Mystère de Jean l’Oiseleur (1925).

Dans les textes du Rappel à l’ordre, il s’agit pour Cocteau de donner des repères et des directives en faveur d’un classicisme vivant, exemples à l’appui. Plusieurs domaines artistiques sont couverts par le recueil : musique, peinture, danse, littérature, théâtre aussi un peu. C’est dire l’ambition générale de l’auteur. Trois grands artistes illustrent cet ordre esthétique, dont le point commun est la simplicité de ligne, la clarté, « un état d’esprit simple et clair » : Satie en musique, Radiguet pour le roman, Picasso en peinture.
Si, au fil des pages, on voit Cocteau ouvrir assez largement le compas des admirations et des dissemblances de style et d’univers (de Satie à Stravinski, de la comtesse de Noailles à Tristan Tzara, de Max Jacob à Cendrars, de Radiguet à Morand), on n’est donc pas surpris que Le Rappel à l’ordre puisse être lu comme un appel de fidélité des écrivains français à « l’esprit français », à « la belle langue française » et ses vertus de simplicité, de légèreté et de clarté.

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L’ordre classique, c’est « la chambre » de Cocteau, là où il se sent chez lui et lui-même après la mue du Potomak. C’est ce qui lui permet de se sentir directement en amitié avec les écrivains qui habitent aussi cette « chambre » selon leur génie propre. La « belle langue française » ne l’empêche pas d’être touché par des chefs-d’œuvre d’inspiration radicalement différente, par exemple ceux qui plongent dans le génie russe. Le Rappel à l’ordre célèbre ainsi Le Sacre du printemps de Stravinski, la Phèdre de Tairoff, spectacle dont la « beauté formidable » « saute à pieds joints par-dessus les discussions », « œuvre qui paralyse le sens critique et déborde le bon goût de toutes parts ». Mais ce genre de beauté ne l’attire qu’en le déracinant, en l’arrachant à sa chambre classique et bien française. Avec Ouvert la nuit et Fermé la nuit, tout droit sortis en 1922 et 1923 des « dîners du samedi » (ils réunissent Cocteau et ses amis entre 1919 et 1921), Morand représente un cas intermédiaire :

« Paul Morand me force à sortir de ma chambre. Ses contes me dérangent, me fatiguent et me ravissent. Je retrouve sans doute dans ses flacons de pickles, ses piments rouges, ses choux-fleurs et ses oignons à la moutarde serrés les uns contre les autres, un parfum des cocktails du samedi.
[…] Mais remarquez, sous les couleurs de son style baroque, comme il écrit lisiblement, comme il moule ses lettres, comme il est clair, rapide, sobre, riche comme Crésus, et simple comme bonjour. »