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Explications entre Béraud et Cocteau à propos de l’arrivisme en 1921-1922 : l’article de Béraud, le témoignage de Maurice Martin du Gard. Cocteau « Prince des poètes » en 1960 : article de Louis Aragon mettant un point final à la polémique. Hommage de la revue Points et Contrepoints en 1961.

Dans un article sur Les Mariés de la tour Eiffel (Mercure de France, 15 juillet 1921), le pamphlétaire Henri Béraud, prix Goncourt l’année suivante pour son roman Le Martyre de l’obèse, s’en prend à la prétendue fortune du fils de notaire Cocteau et de ses amis musiciens, qui leur permettrait de monter et faire jouer de « sottes plaisanteries ».
Au mois de novembre suivant, Béraud et Cocteau se croisent au Théâtre des Champs-Élysées. Béraud s’éloigne, Cocteau le rattrape, lui fait la leçon, s’explique, fascine, a le dernier mot : scène observée de loin par Maurice Martin du Gard qui en décrit la « pantomime » dans ses Mémorables (tome I, Flammarion, Paris, 1957).
L’épisode laisse des traces dans l’œuvre de Cocteau. Le Secret professionnel (1922) inclut tout un développement sur l’arrivisme, dont Béraud n’est pas le seul à accuser le jeune poète :

« On accuse d’arrivisme ce qui pousse avec une force irrésistible. Le théâtre, surtout, plus voyant que les livres, attire le reproche d’arrivisme sur celui de nous qui s’en préoccupe.
[…] les critiques sont partagés entre la conviction que notre groupe dépense une fortune pour monter une œuvre et que cette œuvre lui en rapporte une autre.
Des amis me citent les articles les plus étranges. Ainsi n’ayant lu ni Le Mercure de France, ni L’Action française, j’ai tout de même été bien aise de savoir qu’à notre époque, en 1921, le critique de l’un croyait Auric, Honegger, Durey, Milhaud, Poulenc, Germaine Tailleferre et moi millionnaires, citait Cézanne et Chabrier comme artistes pauvres, pensait sincèrement que nous payions pour être joués, et le critique de l’autre estimait que “je fais n’importe quoi pour lire mon nom imprimé”. »

*

En 1960, autre polémique, autour du titre de « Prince des poètes ». Paul Fort (1872-1960) l’avait reçu en 1912. Il meurt le 20 avril 1960. Une consultation des Nouvelles littéraires désigne à sa place Jules Supervielle, mais celui-ci meurt le 17 mai. Le 27 juin 1960, à la foire aux poètes de Forges-les-Eaux, Cocteau est élu « à la criée » nouveau « prince des poètes ».
L’élection est aussitôt contestée par le vieil ennemi André Breton dans un tract du 30 juin 1960 (« Qui après Paul Fort ? »), point de départ d’une longue polémique aboutissant à la contre-élection de Saint-John Perse, par 97 voix contre 87 à Cocteau, non sans pressions et manœuvres dénoncées par Cocteau dans une lettre à Aragon du 5 octobre 1960 (« Bien sûr que ce titre est ridicule — car il est le NÔTRE. Mais il cesse d’être ridicule lorsque la triche s’en mêle »).
Saint-John Perse, qui vient de recevoir le prix Nobel, refuse le titre, ce qui conduit Breton à annuler le second tour de l’élection programmée avant le 1er décembre 1960, tandis qu’un article d’Aragon en première page des Lettres françaises du 20 octobre met le point final, en « sacr[ant] d’autorité » Cocteau.
La polémique a douloureusement blessé le poète, auquel la revue Points et Contrepoints rend ostensiblement hommage l’année suivante (n° 58, octobre 1961). En 1962, ouvrant un Gala donné au théâtre Hébertot le 15 mai en l’honneur de son prédécesseur, il y revient encore :
« Le titre un peu carnavalesque de “prince des poètes” ne récompense pas une œuvre, mais une certaine façon de vivre. Une bonté dure, une rigueur inflexible, et cette boiterie qui nous reste comme à Jacob après la lutte avec l’ange. C’est cette façon de vivre que je salue chez Paul Fort. […] Voilà ce qui m’a fait accepter cet héritage. Paul Fort souhaitait me léguer son titre, et c’est en face de ce désir, qu’il me confia, que je m’incline. »