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En 1960, Pierre Brasseur joue dans une reprise de sa pièce Un ange passe et dans Cher Menteur, comédie de Jérôme Kilty adaptée par Cocteau. Le poète lui rend hommage dans le programme d’Un ange passe.

Pierre Brasseur, de son vrai nom Pierre-Albert Espinasse (1905-1972), fils et père de comédiens, a à son actif une carrière très pleine aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Il débuta sur scène dès l’âge de 18 ans dans un répertoire boulevardier auquel il se tiendra longtemps, ce qui lui vaudra le mépris des intellectuels. Au cinéma, où il commence en 1924, il accumule près de 80 films dont beaucoup sont des succès commerciaux, d’où le même discrédit dans lequel il est tombé et resta longtemps. Il est peut-être temps de réviser ce jugement de la postérité. Son rôle le plus célèbre et le plus grand est celui de Frédérick Lemaître dans Les Enfants du paradis. Mais on le trouve aussi dans Le Quai des brumes, Le Plaisir, Les Yeux sans visage, pour n’en citer que quelques-uns dans lesquels il transcende son statut de monstre sacré, statut qui lui valut sans doute l’admiration de Cocteau. Comme l’a excellemment écrit Marcel Martin, avec la maturité sa vraie composante est apparue, qui était le satanisme, « comme si le degré extrême de l’extraversion était le signe d’un pouvoir de domination sur le commun des mortels » (Dictionnaire Larousse du cinéma français).

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Pierre Brasseur est aussi l’auteur de pièces aujourd’hui tombées dans l’oubli, comme Un ange passe. Sa reprise en 1960 (la pièce a été créée en 1943 au Théâtre de l’Ambigu-Comique) est l’occasion pour Cocteau de rendre hommage à un acteur qu’il connaît depuis longtemps. C’est à lui qu’il confie en 1927 le rôle du Speaker dans la version de concert d’Œdipus rex, après l’opposition de Diaghilev à ce qu’il le joue lui-même. Le Passé défini cite une anecdote à propos de la toute première audition, qui a lieu dans l’hôtel particulier de la princesse de Polignac : « Le récitant était Pierre Brasseur. Au lieu de dire Créon il prononçait Crayon. Il était maquillé comme pour le théâtre et portait une cravate blanche pareille à un aéroplane » (8 juin 1952).
En 1960, Pierre Brasseur joue avec Maria Casarès dans une comédie de Jérôme Kilty adaptée en français par Cocteau, Cher Menteur, créée le 3 octobre au Théâtre de l’Athénée.

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Hommage de Cocteau à Pierre Brasseur dans le programme de la pièce Un ange passe :
« Je n’aime pas ces gens qui prolongent leur extrême jeunesse. J’aime les gens qui conservent leur enfance, et Pierre Brasseur a conservé son enfance. Je ne considère pas Pierre Brasseur comme un camarade mais comme un ami, je l’aime beaucoup ; je l’ai toujours aimé. C’était un garçon qui allait partout, qui courait partout, c’est-à-dire qui allait dans tous les centres où il se passait quelque chose, et beaucoup de ces centres étaient des centres d’inimitié. Il ne trahissait jamais. Il allait d’un lieu à l’autre. On savait tout par sa bouche : ses oreilles étaient extrêmement ouvertes, mais il ne trahissait pas. C’était une sorte d’estafette étonnante des poètes. Il faisait lui-même des poèmes, des dessins. Il a fait des pièces. C’est un des personnages vivants et admirables, comme il s’en trouve toujours en France, dans notre désordre, qui est notre privilège.
Il est représentatif de cette électricité qui vient de ce que les pointes antagonistes se touchent. Il est très difficile pour moi de parler d’école, n’est-ce pas !… Brasseur était un homme de mouvement. Il a toujours été dans le mouvement. Je ne vois pas Brasseur assis ; alors que les écoles obligent à s’asseoir.
Je crois que Brasseur, comme moi-même, mourra debout ! »