Oscar Wilde, le contre-exemple

Couverture de l’édition de 1983 dans la collection Pierre Bergé. Avertissement manuscrit de l’illustrateur dans l’édition de 1930. Dessin de la même édition. « Aurais-je la frousse ? Ce n’est pas mon genre » (Cocteau, préface à l’édition anglaise de 1957).

Derrière Le Livre blanc, il y a l’exemple, ou plutôt le contre-exemple, d’Oscar Wilde, condamné en 1895 à deux ans de travaux forcés pour homosexualité, dont Cocteau lit la biographie par Frank Harris pendant qu’il écrit son livre (1916, traduction française en 1928). Il prend des notes au fil de sa lecture (publiées dans l’édition des Œuvres romanesques complètes en Pléiade), qui éclairent le rôle de repoussoir joué par Wilde à ce moment. Cocteau l’a beaucoup aimé dans sa jeunesse, l’a pastiché en 1909 (dans Le Portrait surnaturel de Dorian Gray), avant de s’en éloigner. La biographie de Harris, ami de l’écrivain anglais pourtant, « achève O. Wilde » dans son esprit : elle montre la « bassesse d’âme », sans « étoffe » ni « altitude », d’un « homme de salons », d’un « poète médiocre » qui n’a « aucun sens du mystère », dont la tragédie était « trop grande pour sa taille ».

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Au contraire de Wilde, et dans la ligne d’un roman comme Le Grand Écart, histoire d’un cœur pur traversant les milieux les plus corrompus sans rien perdre de sa pureté, Cocteau entend montrer dans Le Livre blanc un homosexuel « honnête homme » jusque dans les situations les plus scabreuses (liaisons simultanées avec Rose et son souteneur Alfred, fréquentation d’un établissement de bains spécial). Un être noble, soucieux de ne pas séparer « le cœur et les sens », pudique dans ses aveux les plus directs (Cocteau relit aussi au même moment Les Confessions de Rousseau), de bonne foi dans ses efforts pour s’affranchir d’une orientation qui s’avère à la longue irrésistible et finalement naturelle (relations féminines, bout de chemin avec l’Église catholique). Un coupable selon la société, mais que ce livre devrait blanchir puisqu’il est en réalité blanc comme neige…
Comme Jouhandeau dix ans plus tard avec De l’Abjection (paru anonymement aussi, chez Gallimard), Cocteau souhaite que se dégage du Livre blanc « une sorte de morale qui empêche l’honnête homme de [le] ranger au nombre des livres libertins » (Note de l’éditeur en 1928, reprise dans l’édition de 1949).