Cocteau a laissé peu de commentaires précis sur l’œuvre de Mauriac, et surtout dans des lettres à l’auteur ou dans ses journaux personnels. Ils concernent notamment son théâtre, domaine dans lequel le romancier se lance en 1938 avec Asmodée, mais ne s’est guère imposé et dont il se retire en 1951 après Le Feu sur la terre. Cocteau évoquera surtout ici et là l’enthousiasme de Mauriac pour Les Parents terribles (pièce créée le 14 novembre 1938 au Théâtre des Ambassadeurs) et l’inspiration qu’il y aurait trouvée pour son propre théâtre.
Le Journal de l’abbé Mugnier se fait aussi l’écho en 1930 de propos assez critiques du poète sur le carriérisme de Mauriac et son talent de romancier.
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« Mon cher François,
Je commence à écrire seul, après 20 jours de lit (rhumatismes, grippe, jaunisse). On m’a lu votre livre [Le Baiser au lépreux] qui m’a beaucoup touché. Je ne trouve rien d’ingénieux à vous en dire […] Le livre me touche. »
(Jean Cocteau, lettre à Mauriac du 5 mars 1922.)
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« Déjeuné hier chez Mme Cocteau avec son fils et Mme Scheikevitch. Jean parle de tout avec un vif intérêt. […] Mauriac se serait converti, dans l’espoir, avec la certitude qu’il échapperait à l’Index dont il était menacé. Jean dit plaisamment : “Mauriac a été amputé de l’Index”.
Mauriac soigne sa gloire littéraire, a les poches pleines des coupures de l’Argus de la presse. Il s’agit de savoir s’il sera capable de faire un roman pur, comme Le Bal du comte d’Orgel, un roman qui soit un chef-d’œuvre. Cocteau estime Mauriac, son talent, de seconde classe. Mauriac dont le talent vient de ce qu’il a réfréné ses appétits. »
(Abbé Mugnier, note du 22 janvier 1930, Journal (1879-1939), Mercure de France, Paris, 1985.)
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D’Asmodée, Cocteau n’écrit d’abord qu’une ligne en passant, dans un article consacré à une pièce de Jean Desbordes : « De Mauriac on attendait une bombe, mais c’était sa première pièce » (« Une curieuse affiche », Ce Soir, 24 avril 1938). « Je ne blâme pas Asmodée », écrit-il en novembre suivant à l’auteur qui semble l’avoir mal pris, « Je blâme le jeu des interprètes qui amollissent la pièce. »
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Heureux du soutien reçu à la mi-juin 1941 au moment des violentes attaques que lui valent La Machine à écrire dans la presse collaborationniste, le poète complimente Mauriac mi-juillet à propos de La Pharisienne, qui vient de paraître : « Ton livre est magnifique, “bouclé”, comme disait notre Barrès et riche dans chacune de ses phrases — peut-être un peu hâtif à la fin — mais c’est le fait de tous les livres qu’on aime et qu’on ne voudrait plus quitter. »
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Le Journal 1942-1945 commente acidement la représentation de la deuxième pièce de Mauriac, Les Mal-aimés, créée le 1er mars 1945 à la Comédie-Française :
« Deux jeunes filles de style Marie-Claire croient aimer un minus habens qui ne les aime ni l’une ni l’autre. Un vieux père ivrogne veut garder auprès de lui une de ses filles pour lui lire Monte-Cristo.
Ces personnages, nous explique Mauriac dans le programme, sont dévorés d’amour.
Dans une préface pastichée de Racine, Mauriac prend à son compte tout ce que j’ai fait avec Les Parents terribles. Il s’excuse d’obliger le public à souffrir (sic) et d’avoir enfanté des monstres. C’est très curieux. » (2 mars 1945).