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« Salut amical à Visconti » de Cocteau, dans le programme d’une pièce de William Gibson, Deux sur la balançoire, adaptée par Louise de Vilmorin au Théâtre des Ambassadeurs en 1958. C’est la première mise en scène de Luchino Visconti à Paris.

Luchino Visconti, il ne faut pas l’oublier, fut autant un metteur en scène de théâtre qu’un réalisateur de cinéma. C’est lui qui avait mis en scène la première traduction italienne des Parents terribles le 30 janvier 1945 au Teatro Eliseo à Rome.
Entre 1957 et 1959, son activité théâtrale passe par un sommet : cinq opéras, huit pièces de théâtre à travers toute l’Europe. Deux sur la balançoire est sa première mise en scène parisienne. C’est Jean Marais qui lui propose de la monter au Théâtre des Ambassadeurs fin 1958. Visconti conçoit les décors. Marais partage le premier rôle avec Annie Girardot.

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On relèvera dans le texte de Cocteau la conception volontairement paradoxale du cinéma néoréaliste qu’il expose et qu’il affirma plusieurs fois. Quant à la présentation de la rue italienne comme théâtre, elle n’est pas sans rappeler une scène fameuse du Sang d’un poète. À vrai dire, on la verrait mieux convenir au cinéma de Fellini qu’à celui de Visconti.
Cocteau aimait cette métaphore, déjà utilisée par lui en août 1949 dans un texte sur Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica (repris dans Une encre de lumière, Publications de Montpellier III, Montpellier, 1989). Le rôle de l’omelette flambée y était tenu par des crêpes Suzette, et le poète y disait déjà que les films néoréalistes sont en réalité des contes des Mille et une Nuits.

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« Salut amical à Visconti
La rue italienne est un théâtre, ses fenêtres des loges. Je me souviens de familles ouvrières applaudissant de leurs fenêtres une omelette flambée que le signor Zoppi apportait à une table de la taverne Fenice.
Les cinéastes italiens, inexactement étiquetés néo-réalistes, furent des conteurs orientaux. Ils se déguisaient en caméra comme Haroun-Al Rachid en colporteur, afin de visiter les coulisses de Rome et d’en surprendre les intrigues.
Il résulte de cette commedia dell’arte à la Goldoni que la foule italienne est toujours un spectacle, actrice ou spectatrice et que le théâtre en souffre.
Or, ce paradoxe ne nous a pas privés du plus admirable des jeunes metteurs en scène.
Luchino Visconti, outre qu’il possède le don de métamorphoser le verbe en verbe actif, méprise le style fantaisiste et le pittoresque. Il oblige le décor à jouer le rôle professionnel des agrès d’un numéro d’acrobate, ne se contentant pas d’envisager le théâtre comme un jeu propre à divertir, mais comme un sacerdoce.
Deux sur la balançoire exige un metteur en scène presque aussi minutieux que les dialogues de William Gibson et de Louise de Vilmorin.
C’est une grande chance que Visconti accepte de mettre ses trouvailles et son cœur au service de Jean Marais et d’Annie Girardot, afin qu’ils se balancent vertigineusement et dangereusement côte à côte au-dessus du drame. »