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Texte de Paul Morand dans le supplément au catalogue général des disques Columbia (n° 47, novembre 1930).

Pour les disques Columbia réalisés en 1929, Cocteau imagine de faire collaborer le gramophone à la fabrication d’une diction neuve, telle que « la voix ne ressemble pas à [s]a voix, mais que la machine use d’une voix propre, neuve, dure, inconnue, fabriquée en collaboration avec elle » (Opium, 1930). Une collaboration intéressante par le choix des poèmes, la diversité des dictions adoptées et les idées d’essais qu’elle a suscitées.
L’idée du « phono créateur » est aussi dans l’air du temps en 1930. Dans Le Phonographe, publié cette année-là, André Cœuroy décrit avec ardeur les expériences à faire sur les timbres, l’intensité, le relief sonore, les vitesses. Il parle du phonographe comme d’un « laboratoire où les chercheurs sauront utiliser la personnalité de l’appareil en créant des ensembles neufs où des timbres spécialement choisis produiront des sonorités nouvelles ».
Ces expérimentations s’inscrivent dans le droit fil du rêve de livres sonores suscité en 1913 et 1914 par les premières séances d’enregistrement de poètes pour les « Archives de la Parole », séances racontées par Apollinaire dans « Aux Archives de la Parole » (1913) et commentées par Francesco Viriat dans « Orphée phonographe : le rêve du disque poétique » (La Voix sous le texte, Presses universitaires d’Angers, Angers, 2002).

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Sauf Le Camarade, alors inédit et repris peu après dans Opium et dans Le Sang d’un poète, les douze poèmes retenus pour les disques Columbia viennent tous d’Opéra. Six d’entre eux, appartenant à la section la plus « oraculeuse » du recueil, « Musée secret », avaient déjà été dits par l’auteur au cours d’une lecture-spectacle à Nice le 14 septembre 1926.
Deux poèmes du premier disque sont dits sur des airs de jazz (La Toison d’or et Les Voleurs d’enfants), choix éclairé par une note d’Opium : « Éviter les poèmes du style Plain-Chant, choisir les poèmes d’Opéra, seuls assez durs pour se passer du geste, du visage, du fluide humain, pour tenir le coup à côté d’une trompette, d’un saxophone, d’un tambour noirs. »
Les deux poèmes sont d’ailleurs dits de manière très différente : diction sans emphase et piano pour Les Voleurs d’enfants, voix très haute qui clame et proclame pour La Toison d’or.
Le théâtre de Jean Cocteau marie aussi le masque grec et la veine foraine : voix criée, ton bref, impératif, rapide quand le bonimenteur décrit le décor, ton emphatique, déclamatoire, quand il fait parler Œdipe, Athéna, Jason, avec fanfare et trompette entre chaque « numéro » de personnage.

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Comme l’indique une lettre du directeur artistique de Columbia à Paris, Philippe Parès, Cocteau avait d’abord envisagé d’enregistrer pour Columbia Antigone et Œdipe-Roi (lettre au poète, 15 février 1929). L’idée, abandonnée, revient en 1930 à propos de La Voix humaine, que son auteur veut enregistrer lui-même (avec coupures), à l’insu de Berthe Bovy (l’actrice du rôle) et pour des besoins d’argent, un mois avant la création sur scène (17 juin 1930). Yvon Belaval raconte une séance d’essai non concluante au studio de Columbia début avril 1930 :
« L’ingénieur du son s’est retiré dans une pièce contiguë. Cocteau commence. Ma tâche consiste à surveiller une lampe rouge et à toucher le récitant à l’épaule dès qu’elle s’allumera. Elle s’allume. Nous rejoignons l’ingénieur. Il met une aiguille. Surprise ! Ce n’est plus la voix de Cocteau, et rien n’est plus choquant que cette voix d’androgyne déclamant un rôle de femme. Nouvel essai. Cocteau place sa voix différemment. Pire encore ! Il faut renoncer. »
(Yvon Belaval, « La rencontre avec Jean Cocteau », Cahiers Jean Cocteau, 3, 1972)
C’est finalement Berthe Bovy qui fait l’enregistrement, dans une version de 15 minutes (au lieu des 35 minutes sur scène) commercialisée par Columbia durant l’été 1930.