L'auteur et son œuvre / Vie de l'œuvre

Lectures de l’œuvre

Lectures du Cap de Bonne-Espérance

Couverture de l’édition originale du poème.

Entre 1917 et 1919, Cocteau a multiplié les lectures du Cap de Bonne-Espérance, ce long poème de guerre inaugurant sa nouvelle manière poétique après la mue de 1913 racontée dans Le Potomak, livre mis en vente à partir de janvier 1918 aux Éditions de la Sirène.

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La première de ces lectures a lieu le 15 juin 1917, chez Paul Morand :
« Il fait une chaleur torride. Pas un souffle d’air, pas un bruit ; Cocteau ouvre, à la lueur d’une lampe, un cahier où les mots de sa grande écriture naïve courent et se bousculent suivant l’esthétique actuelle. C’est un long poème dédié à Garros ; on a de la peine à suivre la mitrailleuse à images ; puis un beau morceau sur les hangars, un autre sur la Marne, avec l’envol final de Garros, de Fréjus à Tunis. Ces deux derniers les meilleurs du poème, très raccourcis, sans métaphores, des silences qui sont comme des trous d’air. »
(Paul Morand, Journal d’un attaché d’ambassade, La Table ronde, Paris, 1949.)

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Une autre lecture a lieu le 26 janvier 1919 chez le comte Étienne de Beaumont. Bernard Faÿ, présent, raconte :
« Depuis plusieurs mois il en parlait, il le façonnait et le refondait, enfin il le déchaîna sur la rue Duroc, devant un public peu nombreux, mais choisi avec soin, où je me trouvais. Jean debout au milieu du grand salon se mit à déclamer, non point comme un acteur qui s’avance, mais comme un aviateur qui démarre au sol ; il s’élançait, jetait sa voix au ciel, et la laissait courir : il revenait en rase-mottes, ses vers se pressaient, se brisaient, puis reprenaient leur essor. Il mettait sa verve, son talent, sa fougue et toute sa passion dans cette déclamation lyrique, qui le transportait au-delà de lui-même et le transformait en une sorte de prophète aux paroles mystérieuses. Nous comprenions à peine ce qu’il articulait pourtant avec soin et nous le suivions, plus dominés par sa ferveur que conscients de sa création littéraire. Dès son premier cri : “Péninsule de hauteur”, il nous échappait et quand il atterrit sur terre, épuisé, nous restions muets. »
(Les Précieux, Libraire académique Perrin, Paris, 1966.)

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Autre lecture remarquable, le 21 février suivant, dans la librairie d’Adrienne Monnier, où Valéry a lu en 1917 La Jeune Parque. Gide et Léon-Paul Fargue sont là, mais aussi Breton et Soupault, « rayonnants d’hostilité », au milieu d’une trentaine de personnes :
« Le Cap, à vrai dire, était un intéressant poème. Comme dans tout ce que fait Cocteau, les recherches et les effets étaient nombreux, étourdissants et même personnels. S’il n’avait, dès le départ, mis sur Garros et sur lui l’étiquette : Dante et Virgile […] nous n’en aurions que mieux apprécié les imitations de coqs, d’hirondelles, de cacatoès, de bruits d’avion… qui parsemaient le poème. Il y avait même un passage lettriste qui aurait été d’une nouveauté bouleversante si Pierre-Albert Birot n’avait été le premier à utiliser ainsi le son des lettres.
Et Cocteau lisait à merveille, avec sa fameuse voix métallique qui fait porte-voix. »
(Adrienne Monnier, « Mémorial de la rue de l’Odéon », Le Littéraire, 15 juin 1946.)