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Pochette d’un disque Festival proposant en 1963 la lecture de La Crucifixion et quelques autres poèmes par Maurice André (Le Buste, Le Théâtre grec, No Man’s land, L’Ange Heurtebise).

Pour Cocteau, le disque et la radio offrent à la lecture d’œuvres un « monde nouveau », analogue à celui du cinéma par rapport au théâtre : un monde du gros plan et de l’anti-déclamation. Dans les années trente, les metteurs en scène amenés à travailler pour la radio comme Copeau, Jouvet ou Dullin, demandent aussi d’abandonner devant un micro les habitudes du théâtre. En 1934, Cocteau évoque ce genre de préoccupations à propos de son travail avec Marianne Oswald pour l’enregistrement sur disque d’Anna la bonne : « Chaque invention nouvelle appelle des procédés nouveaux. J’ai fait pour Marianne Oswald une chanson qu’elle a enregistrée sur disque. Devant le micro, nous avons pensé que les effets n’étant pas les mêmes qu’à la scène, il fallait en trouver d’autres, d’une expression toute différente » (réponse à l’enquête « Un art dramatique radiophonique ? », Les Nouvelles littéraires, 21 avril 1934).

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Un disque Bel Air de 1963, Derniers Propos à bâtons rompus avec Jean Cocteau, nous permet d’entendre plus précisément le genre de conseils que pouvait donner Cocteau encore un petit mois avant sa mort, à un interprète de ses œuvres.
Le 16 septembre 1963, il reçoit André Maurice, qui prépare un disque de ses poèmes : quelques poèmes d’Opéra et La Crucifixion, poème de 1946 qu’il avait lui-même enregistré en 1952. « Dans ce document unique », écrit David Gullentops, « Cocteau révèle ses idées sur la diction en lisant lui-même trois poèmes — en l’occurrence Le Buste, Le Théâtre grec et No Man’s land — et en fournissant des commentaires à la fois sur sa propre lecture et sur celle du récitant. » « Selon toute apparence » aussi, le poète « lit à voix basse son poème La Crucifixion dans un exemplaire annoté d’André Maurice, et commente les marques prosodiques ajoutées par l’acteur en vue de dire le poème » (Revue des lettres modernes, série Jean Cocteau, n° 7, 2012).

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Le choix de dire La Crucifixion peut sembler curieux de la part de Maurice André et avant lui de l’auteur, puisque celui-ci considérait son poème, « aussi dur et visuel que s’il représentait ce dont il parle », comme « plus écrit pour l’œil que pour l’oreille » (à André Fraigneau, 1951). La raison en est sans doute celle qu’il donne au principe de la lecture à haute voix : « […] j’estime que c’est une chance que l’on n’avait pas jadis, mais qu’il faut, pendant quelque temps encore, aider son œuvre et donner sa présence. Je crois que la présence vocale est très importante » (entretiens avec Pierre Brive, 1962). Mais de même qu’il jugeait Marcel Herrand supérieur à lui dans la lecture de L’Ange Heurtebise, l’éloge décerné à Maurice André pour sa lecture de La Crucifixion, repris sur la pochette disque Festival, en fait un lecteur d’exception de ce difficile poème :
« André Maurice a fait ce prodige de dire un poème sans le psalmodier, le chanter, le “plaindre”, sans le déshonorer par un stratagème vocal.
La Crucifixion était un solfège et cherchait un soliste. Elle le trouve et me donne l’impression de l’avoir écrite pour lui. »