En avril 1959, Cocteau se déclare « fasciné » par l’ouvrage de Geneviève Bianquis, où il découvre nombre de nouveaux témoignages sur la vie de Nietzsche. Mais il lui reproche d’ajouter foi aux déclarations d’Elisabeth Förster, alors qu’on connaît déjà les mensonges de celle-ci et les falsifications des écrits de son frère.
Cette lecture sera pour Cocteau l’occasion de prendre ses distances avec le philosophe allemand. Déjà, lors d’un séjour à Valberg, en août 1958, il avait relu Le Cas Wagner et Le Crépuscule des idoles et constaté que les thèses de l’apôtre de la santé n’opéraient plus sur lui. Il finit par dénoncer l’orgueil d’un homme qui aurait voulu être un poète, mais est resté prisonnier de ses aigreurs d’intellectuel, comme en témoignent ces deux passages du Passé défini (tome VI) :
« Il faut, en fin de compte, admettre que Nietzsche possède à l’envers tous les défauts du professeur, du maître d’école. Il commence toujours par m’éblouir et peu à peu, mon attention se fatigue, je m’ankylose, je fourmille, et je voudrais une excuse pour quitter la classe, pour aller fumer aux chiottes. Il a beau vomir l’Allemagne, c’est à force d’être allemand qu’il la vomit. […] Son premier mouvement étant d’un danseur possède toujours une grâce exquise. Mais très vite, il marche, il marche, il escalade, avec sur le dos un gros sac de philosophe. »
« Au lieu de se mettre aux ordres du schizophrène qui nous habite tous et auquel nous devons notre génie, il le nia comme un alpiniste la fatigue et la vengeance du schizophrène fut de prendre toute la place, d’envahir l’homme qui refusa d’être son humble main-d’œuvre, de ruiner le temple à cause de l’orgueil du prêtre qui voulait être seul — son propre Dieu — alors qu’il suffisait de comprendre que ce Dieu n’est autre que lui-même. »