Le Diable au corps est dans l’histoire littéraire en France, le premier roman auquel un éditeur consacre autant de publicité, à la demande de l’auteur. C’est ce que Radiguet appelle le « système Cadum », du nom du savon lancé en 1912 par une publicité intensive utilisant notamment une affiche de bébé assis sur un drap à la sortie de son bain, qui inonde les murs de Paris au début des années vingt. Cocteau, grand promoteur du « déniaisement » des genres et des lieux communs, y voit une manière de « déniaiser » l’édition littéraire, alors peu habituée à un tel marketing. Il admire surtout la raison invoquée par Radiguet pour exiger de Grasset une telle réclame : « Il voyait en elle une manière neuve de mettre en mauvaise posture des œuvres risquant de plaire trop vite » (Lettre à Jacques Maritain, 1925).
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« On se souvient que jusqu’à Radiguet, la publicité se maniait en sourdine, l’auteur feignant de ne pas s’en apercevoir. Radiguet eut, le premier, le courage d’un vacarme propre à reculer les chances d’une œuvre qui risque de plaire trop vite et lui permettant en quinze jours d’atteindre des lecteurs dont une telle œuvre, jadis, mettait plusieurs années à se faire connaître. Il appelait cela le système Cadum. “Je vous demande, disait-il à Grasset, une réclame odieuse, une réclame qui ne laisse le livre qu’entre les mains de ceux qui l’aimeront assez pour résister à leur humeur. Jadis, une œuvre devait être classée, filtrée, maudite par le rare. Aujourd’hui, elle doit l’être par la réclame. La Nouvelle Revue Française ‘chef-d’œuvre’ les livres. Il faut ‘déchef-d’oeuvrer’ Le Diable au corps.” On se souvient du résultat. Il fut tel que ce profond joueur d’échecs l’avait prévu. Le livre s’imposa, surnagea, à cause et malgré les efforts de la presse pour le couler à pic. Ensuite ces mœurs étranges devinrent l’habitude. »
(Jean Cocteau, Une entrevue sur la critique avec Maurice Rouzaud, 1929.)