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Lettres et arts / Écrivains et poètes

Guillaume Apollinaire

Le poète étoilé

Hommages de Jean Cocteau à Guillaume Apollinaire en 1943 et en 1954.

Les hommages de Cocteau à Apollinaire saluent en lui un poète exquis et plein de grâce, « la grâce faite homme », la « rose des vents » d’une époque dont il a simultanément été le « troubadour », ou encore un poète étoilé ou constellé, comme on l’entend dans l’émission « Vingt-cinquième anniversaire de la mort de Guillaume Apollinaire » diffusé par la Radiodiffusion nationale le 10 novembre 1943 (d’abord publié dans Comœdia du 6 novembre, le texte est repris par Cocteau dans le volume XI de ses Œuvres complètes chez Marguerat en 1951).
L’hommage débute par ces lignes : « Guillaume Apollinaire avait la tête étoilée par une blessure. Avec la goutte d’encre qui tremblait au bout de sa plume fée, il étoilait les pages blanches. Après sa mort, il est devenu constellation. »

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Cette image du poète étoilé ou constellé, si elle est absente de « La Mort de Guillaume Apollinaire », poème de 1919, revient ensuite très souvent sous une forme ou une autre dans les hommages de Cocteau. On la trouve par exemple dans l’article publié en janvier 1954 dans la revue La Parisienne et repris dans Poésie critique en 1959. On la trouve aussi dans « Promenade avec Apollinaire » (Le Flâneur des deux rives, n° 2, juin 1954, reproduit en annexe du Passé défini, volume III), ou encore dans la brève allocution prononcée en 1959 pour l’inauguration d’un monument Apollinaire à Saint-Germain-des-Prés : « Parce que l’encre qui tremblait au bout de sa plume tombait sur la page blanche et l’étoilait, Apollinaire devint constellation » (repris dans la Correspondance Jean Cocteau – Guillaume Apollinaire, Jean-Michel Place, Paris, 1991).

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L’image renvoie allusivement à Orphée, dont la lyre devient constellation après son assassinat par les Ménades. De la figure d’Orphée, Apollinaire avait tiré en 1912 l’idée d’un mouvement appelé orphisme, comme Cocteau le rappelle en 1954 : « La France tue ses poètes. La liste de ses victimes est longue. Elle expulse l’insolite. Apollinaire le savait et cherchait une étiquette qui rassurerait l’opinion éprise d’écoles et d’affiches. Il nous proposa l’orphisme. Vint le surréalisme, qui l’adopta. »
L’image d’Apollinaire en poète étoilé vient peut-être aussi, à l’origine, d’Apollinaire lui-même, qui se l’applique dans Tristesse d’une étoile : « Une belle Minerve est l’enfant de ma tête / Une étoile de sang me couronne à jamais ». Le poème était bien connu de Cocteau : il l’avait lu à la place de son aîné, empêché par un mal de tête, au cours de la séance historique du 26 novembre 1916 (trois cents personnes tassées dans l’étroite salle de la rue Huyghens à Paris viennent écouter des poèmes d’Apollinaire, Max Jacob, André Salmon, Blaise Cendrars, Jean Cocteau et Pierre Reverdy, lus en principe par leurs auteurs).