Après la création de Bacchus fin 1951, après l’élection à l’Académie française en 1955, deux articles de Mauriac sont à signaler dans l’histoire de ses relations avec Cocteau, pour la manière dont le poète y réagit : sa contribution au numéro d’hommage des Cahiers des saisons en octobre 1957 et son « bloc-notes » sur l’émission de télévision consacrée à Cocteau par Pierre Cardinal en novembre 1960.
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De façon assez remarquable, l’article de 1957 donne une place d’élection au « Cocteau de 1910 », non pas pour annuler tous les Cocteau qui ont suivi, mais pour suggérer l’existence d’une continuité cachée avec d’autres Cocteau, notamment « le Cocteau de 1957 », qu’il voit comme « sorti du feu des projecteurs ». La vie du poète est vue comme un incessant combat avec « l’ange du bizarre ». Or, écrit Mauriac, « il me semble que le meilleur Cocteau, surtout depuis la rencontre avec Radiguet, est celui qui a su conjurer l’ange du bizarre. » On voit l’allusion à la dédicace de Cocteau à Radiguet en tête des Visites à Maurice Barrès (1921) : « Moi, j’ai mis longtemps à chasser l’ange du bizarre. Je salue en vous le premier contradicteur-né de la “poésie maudite” ». On note aussi la réhabilitation qu’elle suggère des années vingt du poète, années du « rappel à l’ordre », dont Mauriac a su admirer les réalisations en son temps, Antigone par exemple : « Grâce à Cocteau », écrivait-il dans La Revue hebdomadaire, « le drame de Sophocle, exhumé de tout ce dont au cours des pages on l’avait recouvert, apparaît dans sa jeunesse et dans sa pureté originelle » (6 février 1923).
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Le Gros Plan de 1960 sur Cocteau est beaucoup moins compréhensif : « c’est le Cocteau qui, durant ces cinquante dernières années, n’eut qu’à paraître pour séduire. Mais c’est aussi de ce Cocteau-là que le Gros Plan aurait dû venir à bout, et il a échoué. »
En bref, Cocteau chercherait à imposer de lui une idée de son génie qui ne correspond pas à ce qui le rend lisible, à « l’image qu’entre les deux guerres nous avons prise de lui, et qui d’ailleurs nous est chère » et qui vient de son classicisme : « Il a bien tort de renier le poète qu’il fut à vingt ans », celui qui « lui a interdit de rompre avec l’intelligible » et lui a fait consentir « à être entendu clairement » (« Jean Cocteau : le masque colle étroitement à la figure », L’Express, 17 novembre 1960, repris dans D’un bloc-notes à l’autre, Bartillat, Paris, 2004).
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Suite à l’article de Mauriac sur son Gros Plan avec Pierre Cardinal, Cocteau songe à lui écrire une longue lettre ouverte, que finalement il ne fera pas paraître, « pour éclairer la lanterne d’une foule de personnes qui ne comprennent rien à notre querelle » (première publication par Jean Touzot dans Jean Cocteau, La Manufacture, Lyon, 1989). Elle mentionne l’hommage de 1957 dans les Cahiers des saisons, évoque leurs routes respectives depuis les années 1910, justifie l’émission de 1960, revient à l’affaire Bacchus en reprenant quelques lignes de Journal d’un inconnu. En voici trois extraits.
« Nous avons fait ensemble, à vingt ans, nos premières armes, c’est-à-dire nos premières sottises. J’ai, en ce qui me concerne, eu la malchance de correspondre à une frivolité mondaine qui me flattait et m’aurait perdu si certaines rencontres ne m’avaient ouvert les yeux sur mon ridicule et montré qu’il me fallait changer de route. J’ai donc, non pas retourné ma veste, mais retourné ma peau, ce qui n’est pas facile, et cela entre 1914 et 1916. Dans un des articles que tu me consacres tu déclares : “Il nous a quittés sans tourner la tête.” Bien sûr. Même les chiens de traîneau qui retournent au loup hésitent et tournent deux ou trois fois la tête avant de prendre le large. Si j’avais tourné la tête je ne vous aurais pas quittés, parce que je vous aimais, toi et d’autres, et que rien ne vous empêchait de me suivre. »
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« Un jour tu t’es avisé que cette route dangereuse conduisait à la vie intense où les arts se métamorphosent et changent de forme, que la jeunesse se passionnait pour la confection de nos explosifs et, comme il était trop tard pour se mêler à cette alchimie, tu as pensé que les audaces politiques pouvaient remplacer les nôtres et, avec un rare courage, tu as abandonné l’encre du roman pour celle de la polémique vers quoi te portait une intelligence et une audace de plume très supérieure au style des spécialistes de l’actualité. Ta réussite en ce domaine est éclatante et, s’il me fallait devenir juge et t’imiter, je déplorerais que cette épuisante besogne nous prive du meilleur de toi et t’empêche d’écrire des romans où ton âme inquiète est surtout attirée par l’ombre humaine […]. »
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« Pourquoi, me diras-tu, as-tu fait ce Gros Plan à la télévision si ce n’est pas pour y être jugé. […] j’ai accepté ce Gros Plan que je refusais à Cardinal de longue date, afin de parler ma langue à une foule d’âmes connues et inconnues comme si je m’adressais à des amis intimes. Il ne s’agissait donc pas de me défendre devant un tribunal. Je pourrais t’imiter et te juger comme tu me juges. […] Seulement voilà, je t’aimais beaucoup. Il y a notre jeunesse commune. »