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Le Journal (1942-1945) et Le Passé défini (1951-1963) ont été publiés dans la collection « NRF » chez Gallimard après la mort de Cocteau, en 1989 pour le premier, de 1983 à 2013 pour le second (huit volumes, 5080 pages publiées).

Ces journaux écrits au jour le jour constituent une formidable source d’informations sur les activités, les rencontres, les projets et les réflexions du poète. Ils révèlent également l’importance que prend le cinéma dans sa vie et son œuvre. Ils montrent parfois les pensées, colères ou faiblesses cachées du cinéaste observateur et diplomate…

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« Cannes est une affreuse pétaudière. Chacun arrache un lambeau de votre personne. Il me fallait prendre la fuite. »
(Le Passé défini, « mai 1959 », vol. VI, p. 527.)

« À Cannes, il m’est devenu clair que je ne suis plus un homme, mais un mythe. Ils n’attendent plus de moi des œuvres mais une présence et des paroles. Et si je m’éloigne ils m’écrivent des lettres comme si j’étais capable de miracles et de les sauver de je ne sais quoi. Cette réalité qui comble Picasso dans la vie se sauve à mon approche et me condamne à l’inconfort perpétuel. Mon cloître est peuplé de fantômes qui ne savent pas être des fantômes et ne m’imaginent pas dans un cloître mais dans les mêmes endroits qu’eux. Chaque minute augmente cette chute horizontale qui me fait parler aux gens comme un homme qui tomberait lentement du cinquième étage et parlerait aux personnes à chaque fenêtre. Et le trottoir approche de moi. »
(Ibid., p. 532.)

« Infamie mondaine : la générale Catroux au dîner Carlton donné “en mon honneur” par le jury de Cannes me dit avec une bourrade complice et un clin d’œil cochon : “Il paraît que le jeune acteur des 400 Coups ne t’a pas déplu.” Si je n’ai pas quitté la table, c’est que la règle de mon monastère m’oblige à supporter les insultes. Voilà le monde où j’ai décidé de ne plus vivre. »
(Ibid., p. 542.)

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« Voici venu le temps des amateurs. Le tohu-bohu moderne pousse le monde à crier merveille devant n’importe quelle œuvre maladroite, ennuyeuse et bâclée si l’auteur est jeune et si on peut le situer sous l’étiquette “Nouvelle Vague”. Par contre les techniciens sont d’une sévérité injuste pour cette Nouvelle Vague et se refusent à lui reconnaître la moindre valeur. En vérité ce qui trompe les gens c’est cette pente à la désindividualisation qui les empêche de comprendre que les œuvres remarquables ne naissent pas en masse et que rien n’est plus rare que l’équilibre entre le génie et le talent qui lui permet de prendre corps. »
(Ibid., p. 600.)