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Jean Marais, Marcel André et Jean Cocteau sur le pont du « Mohamed Ali el Kebir », avant de toucher Istanbul. L’arrivée de la troupe est couverte par de nombreux journaux, dont Istanbul, rédigé en français, qui publie un « Salut de Jean Cocteau ».

Après une brève escale à Beyrouth (Liban), la troupe arrive à Istanbul le 28 avril « dans le froid et la brume » : « La voilà donc cette ville dont je rêvais à dix-neuf ans à travers les innombrables écrivains français, Nerval en tête, qui la décrivent. » Maalesh raconte surtout un pèlerinage de Cocteau dès le surlendemain de l’arrivée à la maison de Pierre Loti, lecture de sa jeunesse :
« J’ai voulu me rendre ce matin à Eyoub. J’avais aperçu au passage, en longeant le Bosphore, la maison de Loti et celle où la princesse de Brancovan conduisait, petite fille, Anna de Noailles. Loin de France ces choses-là émeuvent. À Paris, l’insolente, on s’en moque. On a balayé Pierre Loti et Anna de Noailles. On a bien tort. Les Turcs conservent leur mémoire. Le faible parfum de Loti, couvert par la révolution, remonte à la surface et embaume doucement la colline des tombes. Loti règne à Eyoub comme Alphonse Daudet à Tarascon. Le petit café, la cabane de bois, l’Isba (car tout est russe ici, l’isba et l’attelage) où Loti venait boire le raki et manger les tartines de yaourt, demeurent intacts au-dessus du niveau des réformes et des usines.
[…] Charmant Loti ! Je l’imagine escaladant, comme une chèvre peinte, cette colline de rocaille et de piquets funèbres. Avec son petit corset qui le sangle, ses petites bottines à hauts talons, sa petite figure maquillée, sa grosse moustache, son œil fixe, je le vois mal rejoignant une Aziyadé aussi ambiguë que les jeunes filles de Proust. Mais après tout, ces jeunes filles n’ont-elles pas le charme des cavaliers travestis de Calderón ? »
(Jean Cocteau, Maalesh, 30 avril 1949.)