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Lettre-plainte publiée en mai 1926 par Roland Saucier, directeur de la Librairie Gallimard. Jean Cocteau proteste contre des ventes de trésors volés dans sa bibliothèque, sans donner le nom du voleur (qu’il aurait en réalité encouragé ou excusé), son ami Maurice Sachs. Journal d’un inconnu justifie le voleur par le motif de ses vols.

Jusqu’où peut-on aller dans « l’insulte » d’un auteur qu’on aime ? Dans le chapitre « D’une justification de l’injustice », Cocteau excuse les insultes qui viennent de la jeunesse : elles sont pour elle un moyen de se défendre contre « l’invasion de personnalités plus fortes que la sienne ». Sans doute se souvient-il de sa sensibilité de caméléon à toutes les influences quand il était jeune (voir Le Potomak), et du « jeu » auquel il s’est livré avec Maurice Barrès dans La Noce massacrée, jeu appris de Barrès lui-même : « moquer en respectant ».
Principal exemple illustrant son propos, Maurice Sachs, « exemple type de l’autodéfense contre un envahisseur », qui pilla sa bibliothèque en 1926, recommença en 1933, le dénigra en 1936 dans son premier roman Alias sous les traits d’Adelair, le renia en 1939 dans Au temps du Bœuf sur le toit, chronique à demi romancée des années vingt, et l’exécuta dans Le Sabbat, « souvenirs d’une jeunesse orageuse » (1946).

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« Une année, où je séjournais à Villefranche [en 1926], Maurice emporta dans une charrette tout ce que contenait ma chambre parisienne. Mes livres, mes dessins, ma correspondance, mes manuscrits. Il les vendit par liasses, et sans contrôle. Il imitait mon écriture à s’y méprendre. J’habitais encore rue d’Anjou. Il se présenta chez ma mère avec une fausse lettre où je lui laissais les mains libres.
Lorsqu’il dirigea une collection chez Gallimard [en 1933], les volumes d’Apollinaire et de Proust, sur la page de garde desquels ils m’écrivirent des lettres, circulaient en salle des ventes. On les exposait aux vitrines. Comme on me rendait responsable de ce scandale, j’éclairai la lanterne de Gallimard. »

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« Je ne saurais geindre d’avoir été dupe. Il n’en incombe à personne d’autre qu’à moi. J’ai toujours préféré les voleurs à la police. N’est pas volé qui veut. Encore faut-il que la confiance règne. Elle régnait avec Sachs. Je le répète, il donnait plus qu’il ne prenait et prenait pour donner. »

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« Je ne partage pas l’opinion de mes amis que ces insultes fâchent. Maurice m’a dit la vérité, la sienne, comme celle de nous tous. J’estime que ses insultes à mon adresse témoignent d’une empreinte profonde. C’est, du moins, l’angle sous lequel je les observe. Comme je l’expose au commencement de ce chapitre, il se fabrique n’importe quelles armes et m’en assiège à tort et à travers. On devine que rien de ce qu’il affirme il ne le pense. Et qui ne comprend pas pourquoi il s’accable et m’accable, ne peut comprendre ses écrits. Il tire son fluide de cet acharnement à expulser ce qui le gonfle. Sa méthode est défensive et offensive. »