Le principal foyer d’hostilité à Cocteau dans les années vingt vient des surréalistes emmenés par André Breton, lequel le considère dès la fin de 1919 comme « l’être le plus haïssable de ce temps » (lettre à Tristan Tzara du 26 décembre 1919). Il est dès ce moment fortement soutenu par son ami Philippe Soupault, qui met en scène leur rejet définitif de l’auteur du Cap de Bonne-Espérance lors du Festival Dada du 27 mai 1920, salle Gaveau à Paris, en crevant un ballon aux initiales de Cocteau.
La montée en puissance du futur groupe surréaliste contribue au succès de leur tactique de mise en quarantaine, alimentée par des griefs variés allant de l’emploi du mot « surréalisme » hérité d’Apollinaire et annexé en 1924 par Breton, de la conception du merveilleux et de la valeur des rêves dans la création artistique, à l’usage de la drogue, aux goûts sexuels et à la pratique de la religion. Robert Desnos parle début 1923 de tuer Cocteau, et réclame en 1925 le retour à « la Terreur » pour « les femmes de lettres depuis la Noailles jusqu’à Jean Cocteau, savamment martyrisés par les bourreaux que nous saurions si bien être » (La Revue surréaliste, n° 3, 15 avril 1925). La « conversion » de Cocteau et sa Lettre à Jacques Maritain déchaînent les insultes de Paul Éluard et de Georges Ribemont-Dessaignes dans La Révolution surréaliste de mars et décembre 1926, Éluard demandant à son tour de « l’abattre comme une bête “puante” ».
Parmi des dizaines de coups et blessures assenés par le groupe surréaliste à Cocteau dans les années vingt, citons le petit esclandre causé le 15 février 1930 par Paul Éluard au cours d’une « répétition intime » de La Voix humaine à la Comédie-Française avant la générale. Amené par le cinéaste Eisenstein, qui a reçu de l’auteur deux invitations, Éluard, aussi homophobe que Breton, interrompt à deux reprises la répétition en criant depuis un balcon à l’obscénité d’une pièce dont le scénario ne ferait que transposer la relation de Cocteau avec son amant Jean Desbordes : « Assez ! Assez ! C’est à Desbordes que vous téléphonez ! »
Le soir même, un coup de fil anonyme annonce à la mère de Cocteau la mort de son fils écrasé par une voiture. Coup de fil dont le poète apprendra des années plus tard l’auteur de la bouche d’Aragon : il s’agissait de Robert Desnos, cosignataire d’un pamphlet très violent contre Breton un mois plus tôt (Un cadavre), mais encore capable de se mobiliser avec ses anciens amis contre leur victime favorite.