Lettres et arts / Écrivains et poètes

François Mauriac

Douche écossaise

Annonce des représentations de La Machine à écrire au Théâtre des Arts-Hébertot en 1941. Cocteau et Arno Breker le 18 mai 1942, au milieu des œuvres du sculpteur exposées à Paris.

Le comportement de Cocteau durant l’Occupation n’est pas à l’abri des malentendus, et lui attire successivement les éloges et les reproches de Mauriac.
En 1941, la reprise La Machine à écrire au Théâtre des Arts-Hébertot suscite une campagne de diffamation très violente dans la presse collaborationniste (La Gerbe, Le Pilori, Je suis partout). D’abord refusée par la censure allemande, qui y voit une critique de l’Occupation, puis autorisée après de nombreux remaniements, à nouveau interdite dès le lendemain de la première le 29 avril, puis autorisée deux jours plus tard après suppression d’une scène, la pièce était partie pour faire des remous. Alain Laubreaux notamment, influent critique dramatique pro-collaboration, consacre trois articles de plus en plus polémiques à la pièce et à l’auteur. Son article du 16 juin lui vaut le soir même une réplique de Jean Marais qui lui crache au visage dans un restaurant et le frappe à plusieurs reprises dans le restaurant et dans la rue où il l’a jeté à terre. Mauriac, présent à la représentation du 16 juin, est aussi témoin d’une partie de la scène. Il écrit le lendemain à Cocteau son approbation : « La France est devenue la petite ville que tu évoques et une bande de salauds a volé la machine et s’en sert… Et ce n’est pas un acte gratuit, fichtre non ! »

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L’année suivante cependant, le « Salut à Breker » de Cocteau dans Comœdia du 23 mai lui attire les foudres de son ami. Arno Breker, que Cocteau semble avoir connu en 1925, est devenu le sculpteur favori de Hitler lorsqu’il reprend contact avec lui à l’automne 1940, pour lui offrir ses services en cas de péril grave (il est aussi l’ami du colonel Speidel, qui commande la place de Paris). Début mai 1942, Breker revient à Paris pour une exposition de ses œuvres. Cocteau est sollicité par le gouvernement français pour faire le discours d’accueil au moment du vernissage : « Tout le monde est suspect. Ils doivent estimer qu’il n’y a que moi d’assez libre et d’assez fou pour prendre la parole. Et, comme Breker m’a rendu service, je le ferai. Le drame, c’est sa sculpture. Elle doit être médiocre » (Journal 1942-1945, 6 mai 1942). Remplacé par Abel Bonnard pour le discours d’accueil, le poète dîne avec Breker le 18 mai et lui promet un article (« Mon goût des mauvaises postures », écrit-il dans son journal), qu’il écrit presque aussitôt et envoie à Comœdia, sans mesurer les reproches qu’il va immanquablement s’attirer dans les milieux résistants ni les ennuis que cela lui vaudra à la Libération. Mauriac fait partie de ceux qui ne peuvent pas accepter ou pardonner un tel geste. Il ne semble pas cependant l’avoir fait savoir directement à Cocteau, qui ne l’apprend qu’en avril 1944 par un tiers, et réagit en laissant entendre l’existence d’un donnant donnant avec Breker et en faisant valoir les persécutions dont il a été l’objet :
« André Dubois me rapporte que François Mauriac est très monté contre moi. Il trouve que je n’ai pas opté politiquement et me reproche mon article sur Breker. Ceci est encore de la bile et il ferait mieux de se souvenir, comme moi, de notre amitié si grande et si ancienne. L’article sur Breker a sauvé d’Allemagne Patrice de La Tour du Pin. En outre — et si je me place sur ce terrain absurde — quels gages a donnés Mauriac ? Moi, on m’a ruiné dans l’affaire des Parents terribles, on m’a frappé et blessé l’œil, etc. » (Journal 1942-1945, 5 avril 1944).