Sans être limpides, les relations de Cocteau et d’Aragon sont plutôt amicales à leurs débuts, mais vite modulées par l’hostilité de Breton, l’arrivée de Tzara à Paris en janvier 1920, les rivalités autour de Radiguet. Ils font connaissance en octobre 1918 au siège des éditions de la Sirène, où Cocteau exerce aux côtés de Blaise Cendrars un rôle de conseiller littéraire. « Le mal qu’on m’en disait me semblait si disproportionné, que je l’attribuais tout naturellement à l’envie. Je me trouvais ainsi fort bien disposé à mon insu envers Jean Cocteau », écrit Aragon dans l’« Explication préalable » accompagnant en 1923 le lot de lettres de Cocteau dont il se sépare au profit du collectionneur Jacques Doucet (De Dada au surréalisme. Papiers inédits, Gallimard, 2000). Une correspondance commence, qui va durer jusqu’en février 1920.
« Cette ébauche d’amitié », écrit Claude Arnaud, « avait permis à Cocteau de voir son nom, en mars 1919, au générique du numéro inaugural de Littérature, encore sagement parrainé par Gide et Valéry » (Jean Cocteau, Gallimard, Paris, 2003). Au générique, c’est-à-dire dans la liste des auteurs dont « Littérature compte publier des poèmes et des proses » figurant sur la quatrième de couverture du numéro 1. Le second numéro devait publier un texte de Cocteau sur Socrate, d’Erik Satie. Breton l’avait accepté (de mauvaise grâce), mais le compositeur, qui se jugeait mal traité dans une note du Coq et l’Arlequin, s’y oppose, de sorte que le poète ne figurera jamais au sommaire de la revue. Subsiste néanmoins dans le numéro 2 une note d’Aragon sur Le Coq et l’Arlequin.
La vexation n’empêche pas Cocteau de faire ouvrir peu après aux trois animateurs de Littérature le sommaire de ce qui sera (comme il le craint) l’unique numéro d’Aujourd’hui (1er juin 1919), aux côtés de Radiguet, Max Jacob ou Reverdy. Lancée par Claude Autant-Lara, la revue est publiée À la Belle Édition par François Bernouard, un ami du poète, qui s’y trouve très bien représenté et en fait la publicité dans sa chronique Carte blanche du 26 mai. Outre son long poème Naples (repris dans Poésie (1917-1920) l’année suivante), le numéro publie la musique de Georges Auric sur son poème La Fête du duc, ainsi qu’un élogieux Portrait de Jean Cocteau par un ami de Radiguet, Georges Gabory. Aragon donne un poème érotique, Couplet de l’amant d’Opéra.
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« La revue Aujourd’hui, dirigée par Claude Autant, va paraître chez François Bernouard. Bernouard aime d’amour les machines, le papier, l’encre. Aussi les livres qu’il imprime ont une âme. Aujourd’hui comporte quarante pages sur papier vergé torchon. Poèmes, proses, musiques, dessins, tout ce printemps nouveau dont la verdure commence à devenir évidente.
Je lui souhaite de vivre. Sinon ce numéro 1 restera un album documentaire. »
(Jean Cocteau, Carte blanche, article du 26 mai 1919.)