Dans cette allocution prononcée au Collège de France le jeudi 3 mai 1923 (entrecoupée de cinq airs de danse joués par Eugene Mc Cown, pianiste au Bœuf sur le toit), Cocteau propose à des auditeurs traités en « camarades » une promenade, « de long en large, au lieu de monter en chaire ». Plutôt que de « l’éteindre en le définissant », il s’agit d’aller et venir tranquillement autour d’un « état d’esprit simple et clair » : ce classicisme de 1920 sur lequel il est convié à s’expliquer. Partant de notes écrites, le propos déraille donc exprès, dessine des circuits assez larges. Mais le souci de clarté n’est jamais perdu de vue : la conversation vise bien à donner une « carte à vol d’oiseau » de l’époque.
Ce souci imprime à l’ensemble une cohérence remarquable : Cocteau ouvre des parenthèses et fait des apartés, mais il boucle toujours ses boucles. Il touche en passant, jamais trop longtemps, quelques idées esthétiques : le génie et l’époque, la simplicité, le style, l’esprit de sérieux, la spontanéité en art, l’esprit de jeu, la malédiction par le tapage, la belle langue française, etc. Il raconte à petits coups, en laissant et reprenant le récit par des bouts différents : Picasso et Satie, Apollinaire, le bar Gaya, le renouveau de ces années, « de blues en sonates, de fox-trots en mélodies, de Bœuf sur le toit en Mariés de la tour Eiffel », Radiguet, Auric, les « dîners du samedi », le jeu avec Barrès. Il évite les anecdotes gratuites, met en relief les personnalités et les détails parlants, décrit et formule par images brèves et palpe tout avec légèreté, par rafales de phrases courtes, d’une autorité extrêmement persuasive.