« J’ai rencontré Al Brown à Montmartre. Il dansait au Caprice Viennois, et conduisait l’orchestre. »
(Jean Cocteau, Voilà, n° 339, 17 septembre 1937)
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Al se donnait en spectacle, maniant la baguette du chef d’orchestre, dansant et chantant avec élégance et mesure. Puis il parlait au public, présentait sa carrière, ou du moins les avantages de ses entraînements, et se proposait d’effectuer une démonstration rythmée de saut à la corde et de gestuelle à vide. Il quittait son smoking en coulisses, revenait en tenue de sport, jouait de sa lanière de cuir sifflante et invisible, jonglait entre vitesse et légèreté, faisait exhibition de ses virtuosités d’athlète. Les gestes de boxe simulée frôlaient les instruments, surprenaient les musiciens, amusaient le public lorsque le jeu tournait au pastiche maîtrisé. Cocteau, séduit, crut déceler en Brown le Nijinsky de la boxe. Et pourtant, à cette époque, Al Brown noyait en privé son dégoût des rings dans la vase de tous les excès.
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« Lorsque j’ai connu Al Brown, il s’enlisait dans une pâte de fatigue et de désordre. »
(Jean Cocteau, Poésie de journalisme (1935-1938), « J’ai connu Al Brown… », Belfond, Paris, 1973)
« Je me suis attaché au sort d’Al Brown, d’abord parce que Brown me représente le sommet de la boxe, une sorte de poète, de mime, de danseur et de magicien qui transporte entre les cordes la réussite parfaite et mystérieuse d’une des énigmes humaines : l’énigme de la force. »
(Cité par Georges Peeters, « Jean Cocteau poète de la boxe », Ring, n° 13, février 1950)
« Me charger d’Al Brown était une preuve de ce que j’avance. Je devinai que sa force n’existait pas seulement dans ses muscles et je le pris en charge en bas de la courbe. Quand je lui conseillai de remonter sur le ring, il était une loque humaine. »
(Jean Cocteau, « L’Affaire Al Brown », Neuf, n° 4, octobre 1951)
« Jean Cocteau venait souvent à Aubigny pour encourager son ami Al, mais dans les milieux sportifs, on ne croyait pas qu’un poète put redonner la foi à un boxeur. »
(Georges Peeters, Monstres sacrés du ring, La Table ronde, Paris, 1959)
« Al était un poème à l’encre noire, un éloge de la force spirituelle qui l’emporta sur la force tout court. »
(Jean Cocteau, préface à Georges Peeters, Monstres sacrés du ring, op. cit.)
« Le couple Brown-Cocteau entrait plus ou moins consciemment dans l’œil du cyclone de l’opinion publique. Cela sans doute avantageait Cocteau, dans la construction de son personnage, mais nuisait à Brown qui avait droit aux critiques et aux quolibets, d’un goût douteux. On l’insultait en le traitant de poète. Il y avait dans ce mot des arrière-pensées. Les relations entre les deux hommes choquaient la morale du public. Pouvait-on, réellement, devenir champion du monde à trente-cinq ans, opiomane, musicien, homosexuel et noir de surcroît ? »
(Eduardo Arroyo, Panama Al Brown, Grasset, Paris, 1998)
« Tu m’avais promis de reconquérir ton titre et je t’avais promis de t’aider jusqu’au bout dans cette étonnante entreprise. La chose est faite. […] Profite de ton triomphe. N’imite pas les vedettes qui se prolongent et qui s’accrochent. Après la merveille de cette revanche, donne au monde l’exemple d’un homme qui laisse la place aux jeunes. Certes, je serai le seul à te dicter cette conduite, mais je te la dicte sans passion puisque j’ai joué mon rôle et qu’une chute ne saurait m’atteindre. […] Offre ce coup de théâtre extraordinaire : un poète voulut qu’un boxeur redevînt champion du monde. Redevenu champion du monde, l’entreprise cesse.
Une dernière rencontre : Angelmann.
Je te le demande, je te le conseille. Jamais personne n’accepte de sortir à la bonne minute. Sois un sage, n’imite personne, sors de scène. C’est mon dernier conseil. »
(Jean Cocteau, publié dans Paris-Soir le 5 avril 1938, repris dans « Lettre ouverte à Al Brown », Poésie de journalisme (1935-1938), Belfond, Paris, 1973)