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Tiré à part d’un article d’Alfred Mortier dans La Grande Revue, numéro d’avril 1933.

Gauche et droite des lettres, extrême gauche et extrême droite littéraires : Cocteau ne cesse de jouer avec cet imaginaire de la géographie littéraire inscrit dans le vocabulaire artistique de son époque depuis au moins les années 1910. Si les partisans du neuf, du moderne, du changement, du désordre sont considérés comme à gauche et les partisans de la tradition et de l’ordre à droite, pour Cocteau la gauche prend sa droite quand elle devient un mot d’ordre et s’académise, tandis que la droite passe à gauche quand l’ordre devient une audace. C’est le sens de son « rappel à l’ordre » dans les années vingt : « Le poncif du scandale (Rimbaud dirait : cette vieille démangeaison) empêche encore d’admettre qu’à notre époque l’anarchie se présente sous forme d’une colombe » (Le Rappel à l’ordre, 1926).
Dans une étude assez critique publiée en 1933 dans La Grande Revue, bimensuel dirigé par Jacques Rouché (patron des parfums Piver et directeur de l’Opéra de Paris), Alfred Mortier, poète symboliste et auteur dramatique ayant débuté autour de 1900 (il meurt en 1937), co-fondateur du Mercure de France, époux de Mme Aurel dont Cocteau et Max Jacob ont fréquenté le salon au début des années vingt, met en cause le paradoxe d’une position finalement avantageuse pour le poète : « Cocteau sait bien que la gauche existe, “la gauche bon teint, la gauche en soi”, dit-il, mais, malin, il prétend que c’est le premier état de la droite, une gauche classique, celle qui représente l’ordre avant d’avoir été imitée, affadie. Cette subtilité lui permet de se refuser à être d’avant-garde et même d’être contre l’idée d’avant-garde (qui se démode vite), tout en profitant d’une position qui lui ressemble curieusement. »