Malade en août 1953, Cocteau se met à travailler aux poèmes du recueil en septembre et octobre, avant de partir en cure de repos à Kitzbühel (Autriche) du 5 février au 12 mars 1954. Il corrige les épreuves du recueil après l’hospitalisation qui suit un premier infarctus (10 juin-16 juillet 1954). Dans une émission enregistrée le 9 décembre 1954 et diffusée sur Paris-Inter le 1er janvier 1955 (Clair-Obscur. Poèmes de Jean Cocteau, lus et commentés par l’auteur), il dit quatre poèmes au micro d’André Fraigneau et commente son recueil. Ci-dessous quelques extraits.
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« Le poète hésite entre deux extrêmes, le faire-parisme et l’àquoibonisme. Le faire-parisme… consiste à crier “au secours” et à agiter sa chemise au bord de notre île déserte. L’àquoibonisme nous pousse à renoncer à appeler au secours, à correspondre avec autrui, nous pousse à nous coucher à plat ventre par terre. »
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« Clair-Obscur a été écrit dans l’intervalle qui séparait deux crises très graves où j’ai failli disparaître. Il est possible que ces deux crises jouent un rôle dans l’espèce d’àquoibonisme devenu faire-parisme de ce livre Clair-Obscur, mais je ne le crois pas, parce que je ne crois pas que la souffrance et la misère nous fécondent. Je croirais plutôt qu’elles nous paralysent, et j’aimerais voir une grande œuvre sortant du bonheur. »
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« “Clair-obscur” ne veut pas dire “pénombre”. Il s’agit de textes clairs et de textes obscurs, et ce qu’on nomme textes obscurs est en l’occurrence le comble… de l’exactitude. La langue se noue, jusqu’à devenir si précise qu’elle n’offre plus des angles et des surfaces répondant au désir du lecteur. Elle se ramasse sur un seul point, qui est le nôtre. Ce point s’épanouira dans la suite car tout poème est, par définition, posthume. Et il importe de ne pas offrir à qui on respecte des fleurs grandes ouvertes et qui se fanent le soir. La politesse, il me semble, consiste à offrir des fleurs qui durent et qui s’épanouiront à la longue. Il y a, dans mon livre, des poèmes dits clairs et des poèmes dits obscurs, mais ce n’est qu’une apparence. J’estime que les poèmes dits clairs ne le sont qu’au premier coup d’œil. C’est la différence qui existe entre certains dessins directs de Picasso et certaines toiles où les objets deviennent méconnaissables. »
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« La musique d’un poème n’est pas à proprement parler de la musique. C’est un rythme interne, une pulsation, qui ressemble au tam-tam par quoi les sauvages correspondent à distance — nous sommes des sauvages qui correspondent à distance. »