Lettres et arts / Artistes

Marianne Oswald

Anna la bonne

Les chansons de Marianne Oswald, un disque Columbia sorti en 1953. Pochette dédicacée par l’artiste à l’auteur de son plus grand succès. Voix : extrait de la chanson parlée Anna la bonne.

Dans l’univers de Cocteau, Marianne Oswald, c’est d’abord et avant tout une chanson parlée, Anna la bonne, interprétée en 1934. L’enregistrement sur disque Columbia est daté du 13 mars 1934. Pour le disque, l’auteur et l’artiste ont mis au point un autre style d’interprétation :

« Chaque invention nouvelle appelle des procédés nouveaux. J’ai fait pour Marianne Oswald une chanson qu’elle a enregistrée sur disque. Devant le micro, nous avons pensé que les effets n’étant pas les mêmes qu’à la scène, il fallait en trouver d’autres, d’une expression toute différente.

Il est dommage de voir des instruments comme la T.S.F. et le phono ne servir qu’à une incomplète reproduction d’œuvres qui ne leur sont pas destinées. »

(Jean Cocteau, réponse à une enquête dans Les Nouvelles littéraires, 21 avril 1934.)

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Anna la bonne, c’est à l’origine un poème d’Edgar Poe, Annabel Lee, traduit par Mallarmé, et une célèbre chanson du jazz américain. En 1934, Cocteau en fait une chanson parlée : Anna, la bonne de l’hôtel, dérangée une nuit par la « trop bonne, trop belle et même trop jolie » Annabel Lee, qui y mène une vie fastueuse, lui donne la potion qu’elle demande pour dormir. Il fallait verser dix gouttes, « pas plus » : « Je les verse toutes, je commets un assassinat ». Mais que dire… « Vraiment, ce n’est pas soi qui tue : / Le coupable, c’est votre main. »

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Anna la bonne revient discrètement dans Les Bonnes de Genet en 1947. Dans cette pièce, Madame prend tous les soirs un tilleul avant de s’endormir. Elle est bonne, et belle, mais sa bonté empoisonne ses deux bonnes. L’aînée, Solange, a voulu l’étrangler dans son sommeil, mais n’a pas osé : la plus jeune, Claire, décide de l’empoisonner en mettant « dix cachets de gardénal » dans son tilleul. Mais Madame leur échappe et Claire, jouant le rôle de Madame dans une « scène » finale, décide de boire le tilleul à sa place.

Moins sensible dans la version « longue » publiée dans la revue L’Arbalète, le souvenir d’Anna la bonne est net dans la version « courte », celle mise en scène par Louis Jouvet à l’Athénée, à laquelle Cocteau a contribué. Deux phrases y attirent l’attention sur les « dix » cachets, ni plus ni moins (écho aux dix gouttes « pas plus »). Et, à la différence de la version longue, la « scène » finale ne montre Solange jouant à étrangler Madame, ce qui donne plus de relief au jeu de Claire-Madame buvant le tilleul. Ce jeu forme la chute de la pièce, trouvée par Cocteau lui-même, d’après une interview de Genet en 1949.