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Maritain, Cocteau, Desbordes (photographié vers 1925) : pas de chance ! L’amitié qui réunit les deux premiers depuis 1924 résistera cependant aux turbulences de 1928 provoquées par le livre de Desbordes J’adore et le projet du Livre blanc.

Cocteau écrit aussi Le Livre blanc sous l’influence et dans le rayonnement de sa liaison avec le jeune Jean Desbordes (rencontré en 1926), dont le panthéisme coloré de références chrétiennes et le comportement pansexuel très libre (hommes, femmes, animaux, arbres… tout lui est bon) l’encouragent à aller encore plus loin dans le sens indiqué par la Lettre à Jacques Maritain (Stock, 1926) : « déniaiser » les choses du cœur en plaidant pour une religion d’amour infiniment plus large et compréhensive que le dogme, une religion « où le catholicisme reprendrait ses forces d’origine et romprait avec le fléchissement de Saint-Sulpice » (Démarche d’un poète, 1953).
Les idées de H. dans Le Livre blanc, « aimable hérétique » qui devient l’amant du narrateur tout en le trompant avec une femme, reprennent celles de Desbordes, adoptées par Cocteau : « Avoir un pied sur l’Église qui prétend ne pas bouger de place et un pied sur la vie moderne, c’est vouloir vivre écartelé. À l’obéissance passive j’oppose l’obéissance active. Dieu aime l’amour. »

*

Les semaines qui précèdent la publication du Livre blanc font entrer Cocteau en crise ouverte avec Jacques Maritain. Leur amitié, amorcée par des échanges de lettres en 1923, nouée en 1924 autour de la mort de Radiguet, durera jusqu’à la mort du poète, comme en témoigne leur Correspondance (1923-1961) publiée en 1993 chez Gallimard. Mais en 1928, Maritain a le sentiment d’être manipulé par son ami (qui lui confesse peu après avoir besoin de lui pour « vaincre la résistance du monde des lettres ») :

« Ainsi, tandis que vous me demandiez une note dans La N.R.F. sur Le Mystère laïc [essai sur le peintre Chirico], vous me cachiez votre intention de publier Le Livre blanc. Vous préférez prendre pour confident une demi-douzaine ou une dizaine de personnes à qui vous faites lecture de votre manuscrit. Ça, c’est indigne de vous. Vous m’avez fait du mal. Je ne croirai jamais que vous ayez à mon égard la moindre intention de trahison, mais je n’admets pas que vous vouliez vous jouer de moi. »
(Jacques Maritain, lettre à Jean Cocteau du 13 juin 1928.)

Surtout, la perspective du livre lui paraît insoutenable : « […] vous êtes catholique et vous l’avez dit publiquement. Or la position que vous prenez dans ce livre est essentiellement non catholique. Alors c’est l’équivoque » (lettre du 15 juin).
Le dernier livre de Jean Desbordes, J’adore, « intolérable mélange de religion et de délire sexuel » (lettre du 30 juin), la préface enthousiaste de Cocteau, qui en célèbre sans réserve l’admirable pureté, son refus d’arrêter la publication du Livre blanc, malmènent durement leur amitié. L’écrivain veut la maintenir à tout prix : « Aimons-nous. Admettons-nous » (lettre du 9 juillet). Mais il doit reconnaître le dialogue de sourds : « À mes yeux, vous vous trompez. À vos yeux, je me trompe. »