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Dans Cocteau – Panama Al Brown : historia de una amistad, Eduardo Arroyo propose une anthologie de textes de Cocteau sur le boxeur, avec de nombreuses photos et illustrations (Galaxia Gutemberg / Circulo de Lectores, Barcelone, 1994).

Al Brown jouait dans la vie comme sur le ring. La boxe n’était pour lui qu’un moyen facile de gagner de l’argent. Doué par nature, avantagé d’une longue silhouette et d’un rare sens de la danse, il s’entraînait peu, surpassait toute souffrance et forçait sa motivation durant les matches en pensant à la façon dont il fêterait sa victoire. L’on rinçait son protège-dents au champagne entre les rounds, lorsqu’on ne lui en servait pas une coupe pour démoraliser l’adversaire. Les sifflets d’un public parfois déçu lors de victoires sans panache n’atteignaient pas la fierté du champion qui se réservait pour ses nuits plus que pour ses soirées. Ainsi le paiement de ses victoires, toujours mal négocié mais pas pour son manager, était souvent liquidé avant ses adversaires : l’éblouissant Alfonso dépensait davantage dans l’après-match qu’il ne se dépensait sur le ring. Le soir même, l’argent de ses championnats passait dans les caisses des cabarets où il n’hésitait pas à poursuivre le spectacle, saxophone ou batterie entre les mains.

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Al Brown pratiquait le jazz, le cirque, l’exhibition de ses talents d’homme de scène. Chanteur, danseur, musicien, présentateur, humoriste, mime, la nouvelle perle noire des nuits à paillettes se sentait bien dans ses costumes trop amples, même s’il changeait de tenue à plusieurs reprises dans la même journée sans autre raison que cette propension joyeuse à l’art de la parade. D’aucuns prétendent que le dandy, alors au sommet, ne conservait pas ses vêtements portés une fois.
Dans ses périodes d’opulence, fluctuante et aléatoire, ses largesses étaient légendaires. Il donnait autant d’argent qu’il n’en jouait aux courses ou autres loteries. S’il arrivait que l’un de ses débiteurs lui propose de le rembourser, la réponse était « non », au motif qu’il se serait alors lui-même senti en devoir de rembourser ses créanciers. Al Brown déclarait sans détour n’avoir jamais pu considérer la prudence comme une vertu…

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Joueur en boxe, joueur de jazz, joueur d’argent, joueur avec la vie mais aussi avec sa santé, ce diable flambeur a porté son optimisme d’un continent à l’autre, au gré d’une vie d’artiste plus que de champion, avec une prédilection pour Paris où il gagnera aussi sa vie parmi les saltimbanques de la nuit lorsque la boxe l’aura saturé. Bien que Panaméen, pour avoir démarré sa carrière à New York, il représentait en France le souffle et la couleur du music-hall américain d’avant-guerre. On le vit participer à nombre de tournées musicales ou dansantes, venues ou inspirées d’outre-Atlantique.

« Al demeurait, avec Joséphine Baker, un symbole pour ce monde du succès de la fantaisie. »
(Eduardo Arroyo, Panama Al Brown, Grasset, Paris, 1998, p. 194.)